Zeros and Ones Allemagne, Italie, Etats-Unis 2021 – 85min.

Critique du film

Un thriller aux gestes barrières

Critique du film: Laurine Chiarini

En 2020, en pleine pandémie, alors réduit à la portion congrue, le Festival du Film de Locarno avait lancé l’initiative « The Films After Tomorrow ». Le projet visait à soutenir le redémarrage de 10 films internationaux et 10 films suisses dont le tournage avait été interrompu par le Covid. Si les presque deux années chaotiques que nous venons de traverser ont brutalement mis à l’arrêt l’industrie du cinéma, elles ont aussi été source d’inspiration pour certains. Gaspar Noé, présent à Locarno avec son dernier film Vortex, a déclaré que la pandémie avait été un véritable moteur, même si cela ne se reflète pas directement à l’écran. Le dernier opus d’Abel Ferrara, Zeros and Ones, écrit et réalisé durant la pandémie, suit les pérégrinations nocturnes du soldat américain JJ (Ethan Hawke) dans les rues désertes de Rome, faisant face à de mystérieux ennemis dans une atmosphère d’apocalypse imminente.

Pour le réalisateur, l’état de quasi-siège de la ville éternelle durant les confinements successifs s’est avéré être une aubaine, lui permettant de filmer dans un style « guérilla » sans coiffure ni maquillage, caméra au poing, utilisant au maximum les éclairages publics déjà présents. Sur un rythme haletant, les images suivent JJ de ruelles en cages d’escaliers, alors qu’il tente d’échapper à d’énigmatiques personnages pour contrer un danger – visiblement planétaire – dont on ne saura guère plus. Tous les ingrédients du thriller géopolitique sont réunis : le FBI, les services secrets russes, les dealers de drogue asiatiques, les prostituées… mais la sauce ne prend jamais. Entre prières à la mosquée et interludes au Vatican, JJ recherche son non moins mystérieux frère, anarchiste d’après les uns, communiste d’après les autres, révolutionnaire selon ses propres mots.

Perdu dans les méandres d’une histoire sans queue ni tête, le spectateur aura fort à faire pour trouver un sens à Zeros and Ones. Le grain des caméras numériques utilisées, loin du charme de celui d’une pellicule au nitrate, apporte certes un côté « film noir » mais devient rapidement lassant. La musique, presque constamment présente, fait monter la tension pour un apogée qui n’arrive jamais. Tout au plus, peut-on concéder au film d’être l’écho d’un ressenti personnel face aux événements de l’année et demie écoulée : des habitants cloîtrés, un centre-ville désert, un ennemi aux contours insaisissables, un quotidien fait d’incertitudes et un monde où tous repères ont disparu. Alors que l’équipe a vécu un tournage en quasi-autarcie, ses membres restant strictement entre eux, espérons que les gestes barrière qui émaillent le film fassent référence dans le futur à une période bien spécifique et surtout révolue.

Ferrara avait une fois déclaré que les films d’apocalypse faisaient partie de son ADN. D’après ses propres dires, ayant atteint 70 ans, il est temps maintenant pour lui de « se mettre à vivre » : son film, dans une visée plus égocentrique qu’artistique, serait-il une sorte de catharsis qui ne sert que son créateur ? Durant la conférence de presse qui a suivi la projection, le réalisateur a cité Barry Lyndon de Stanley Kubrick comme précurseur du cinéma indépendant et inspiration ; l’un des journalistes présents a fait référence à Rome, ville ouverte de Rossellini. Alors que Zeros and Ones ne risque pas de marquer l’histoire du cinéma, la comparaison paraît un brin pompeuse.

(Critique dans le cadre du 74e Festival du film de Locarno.)

17.08.2021

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