EO Italie, Pologne, Suisse 2022 – 86min.
Critique du film
La caméra à hauteur de naseaux
Le réalisateur polonais Jerzy Skolimowski n’avait plus fait de film depuis son «11 minutes» en 2015, un thriller monté en pied de nez aux films d’action hollywoodiens actuels. Il revient désormais dans les salles obscures avec «EO» (l’onomatopée asine «hi-han», en polonais), présenté au Festival de Cannes 2022 où il remporte le Prix du Jury. Un film doux, mais cruel, teinté d’une poésie hautement évocatrice.
«EO» est le nom d’un âne qui, après la faillite du cirque où il se représentait avec sa dresseuse, trouvera le chemin de l’exode… et de la bêtise humaine. Sous la forme d’un roadmovie délicatement esthétique, on suivra via le regard de l’équidé ses pérégrinations à travers l’Europe.
Jerzy Skolimowski est une figure de proue du Nouveau cinéma polonais, à la vie marquée par l’autoritarisme. D’abord secoué dès son plus jeune âge par la seconde guerre mondiale, c’est ensuite la Pologne stalinienne qui le poussera à l’exil après son premier film anti-régime «Haut les mains». Une vie d’apatride donc, qui se ressent jusque dans son «EO», un film d’errance qui brouille temporalité et situation géographique. Les langues des quelques protagonistes humains (dont une apparition inopinée d’Isabelle Huppert) sont nos seuls points de repères tout au long de ce voyage. Pourquoi? Car l’humain est à la marge, parfaitement dispensable, dans ce long-métrage filmé à hauteur de naseaux. «EO» est un véritable manifeste animaliste, résolument misanthrope, où les pires tares de notre espèce sont appuyées.
Les humains dispensables donc, tout comme le scénario dont Skolimowski se détache totalement. Plus encore que dans «Au Hasard Balthazar» de Robert Bresson, auquel il rend un clair hommage avec ce film, la caméra se balade au gré du regard naïf de l’âne en se débarrassant de tous les préceptes de l’écriture scénaristique. L’équidé tiendra donc le premier rôle, mais aussi, somme toute, le poste de monteur. Si le pari est audacieux de la part de Skolimowski, il n’en est pas à son coup d’essai. Le réalisateur polonais nous a déjà prouvé qu’il pouvait se révéler être têtu comme une mule, face aux prescriptions des financiers. Prenons pour preuve le bon coup de pied dans le dictat du scénario de son film précédent, «11 minutes», ou ici sa position de chantre d’un art total, qui le rendent unique dans le paysage cinématographique contemporain. Travaillant son image comme un peintre, l’encadrant d’une composition musicale magistrale et d’envolées expérimentales audacieuses, il insuffle dans son «EO» un lyrisme parfois un brin trop appuyé, mais d’une poésie qui n'appartient qu’à lui. Dur de ne pas se laisser happer par la caméra de Skolimowski, ni de ne pas se faire envahir par l’émotion à la fin du long-métrage.
Votre note
Commentaires
Film très bien réalise et avec une bande son qui mérite un César ce 24 février. L'idée de montrer le monde "humain" au travers des yeux d'un âne était un pari audacieux. C'est réussi et au final cet âne très sympathique peu amener plus de bienveillance envers le monde animal. Et puis il y a Isabelle Huppert qui comme toujours lorsqu'elle apparaît quelque chose se passe. Et c'est le cas dans ce film même si La scène qu'elle joue n'amène pas grand chose de plus. (G-21.02.23)… Voir plus
Dernière modification il y a 1 an
“Peau d’âne”
Animal d’un cirque polonais en faillite, l’âne Eo est confisqué par les autorités et confié à d’autres mains. Ainsi arraché à sa protectrice l’acrobate, il perd sa seule amie.
A quoi peut bien rêver un âne ? A la liberté des grands espaces quand il observe au loin ses cousins équins galoper dans les plaines ? Aux caresses affectueuses de sa chaperonne rouge qui lui manque tant ? Ou juste à une botte de carottes supplémentaire ? Le plus souvent à la hauteur de sa tête de mule, la caméra tente d’en percer le mystère, devenant subjective lorsqu’elle épouse son regard trouble. Audacieuse, elle simule des réactions anthropomorphistes en saisissant une larme et un cri lors de l’abandon ou un « oui » répondant à une question.
Hymne antispéciste, le film aurait pu être un conte pour enfants, triste et amusant. Mais c’est une descente dans l’enfer des hommes qu’il nous faut subir. Au hasard, on y découvre des motifs genrés frôlant le fantastique, l’horreur, la science-fiction, le western et l’érotisme. Quasi muet, une musique envahissante a remplacé les mots. Les lumières deviennent épileptiques, l’image se tord et se teinte d’une couleur sang. La violence de l’exploitation animale est dénoncée. Dresseurs, chasseurs, fourreurs, transporteurs, agriculteurs se succèdent pour amplifier le discours. La palme du déshonneur revient à une équipe de supporteurs exorcisant toute leur bêtise crasse sur le bouc émissaire désigné mascotte d’un jour. Symbole christique par excellence, l’âne sacrificiel endosserait ainsi tous les péchés du monde. Mais chez Skolimowski, le religieux n’apparaît que pour permettre à Isabelle Huppert de hennir de plaisir. Aussi, le chemin de croix ne peut mener qu’à l’abattoir.
(5.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 1 an
(vu à Lyon le 21.10.2022 ) :
4.5 : L’animal qui voulait murmurer à l’oreille des hommes
Eo est un âne au destin particulier d’être l’attraction principale d’un cirque polonais. Sauf qu’une nouvelle loi interdisant l’utilisation animale en cirque va l’emmener sur un périlleux voyage en croisant des animaux et des humains pas toujours propices à son bien-être.
Le voici ce prix du jury cannois inédit en Suisse mais projeté en France. Et fort heureusement.
Dès les premières secondes, nous faisons connaissance avec certes notre héros à 4 pattes mais surtout avec un style rouge vif, théâtre du magnifique numéro inaugural et un des rares moments du film où nous n’avons pas envie de gifler un humain.
Car le procès envers l’homme et son incompétence est absolument flagrant : illustrations multiples qu’elles soient sportives, machos ou ravageuses.
Tous ces regards croisés par Eo sont entrecoupés de magnifiques prises de vues où parfois le rêve microscopique de pouvoir laisser parler l’âne et clouer le bec aux humains nous éloigne de notre culpabilité. Cette dernière nous sera pourtant cruellement rappelée à diverses occasions et il n’y a pas de quoi être fier.
Une musique de toute beauté et un coup de chapeau aux dresseurs et photographes pour cette richesse animalière apportée contrastant avec la faiblesse humaine et notamment sa lâcheté moult fois évoquées.
Expérience à recommander vivement … Voir plus
Dernière modification il y a 1 an
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