Les nuits de Mashhad Danemark, France, Allemagne, Suède 2022 – 116min.
Critique du film
La traque du tueur araignée
Présenté en Compétition Officielle à Cannes, où l’actrice Zahra Amir Ebrahimi remporte le prix d’interprétation féminine, le cinéaste irano-danois Ali Abbasi nous plonge au cœur d’une sombre affaire de meurtres en série tirée d’une histoire vraie.
Avec Border (lauréat du prix Un certain Regard à Cannes en 2018), Ali Abbasi racontait l’histoire d’une redoutable et énigmatique douanière. Un film à la croisée des genres, extrêmement original, bien qu'un peu énigmatique et légèrement grinçant. Et «Les nuits de Mashhad», sa nouvelle œuvre, paraît plus conventionnelle.
En effet, le cinéaste s’inspire d'une véritable affaire criminelle : l’histoire d’un père de famille (Mehdi Bajestani) plutôt discret qui se met en tête de libérer la société iranienne de l'immoralité. L’homme entame ce qu’il appelle un «djihad contre le vice» et étrangle des prostituées dans la ville sainte de Machhad. Une journaliste interprétée par Zahra Amir Ebrahimi se charge de le coincer.
Pour conter ce fait divers, «Les nuits de Mashhad» se divise en deux parties. La première se consacre à la description des meurtres et à la traque du coupable, la seconde, très intense, se penche sur la suite de son arrestation. Une première partie assez crue, dans laquelle le film n'omet aucun des visages déformés par la douleur, mais qui donne l'impression d'être plus visuelle que fondamentalement éclairante.
Un film porté par une cinématographie très film noir et capable d’émotions vénéneuses, mais ce n’est qu’à partir de son impressionnant deuxième chapitre que «Les nuits de Mashhad» révèle toute la critique sociale qu'Abbasi avait en tête. Et si la thématique est profonde, sans doute aurions-nous aimé que le cinéaste s’y consacre davantage.
(Festival de Cannes 2022)
Traduit de l’allemand.
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Commentaires
« Le diable n’existe pas »
Dans les rues de la ville sainte de Mashhad, un homme tue les prostituées. Rahimi, une journaliste venue de Téhéran, est déterminée à démasquer celui que les médias appellent l’araignée.
Un rouge à lèvres prononcé, une mèche qui dépasse du voile et des talons hauts qu’on enfile. Il en faut peu pour de passante devenir putain. Une femme seule réservant une chambre d’hôtel est tout aussi suspecte. Et quand elle ose dénoncer un patron harceleur, sa réputation est faite et c’est elle que l’on renvoie.
A l’opposé, le tueur en série est un mari dévoué et père de famille fatigué. Béni par l’eau de pluie venue des cieux, ce fervent se dit missionné par Dieu. Maçon modeste qui se rêve martyre, il étrangle les impies avec leur foulard, symbolisme ultime. Le grand public finira même par l’encourager dans sa démarche purificatrice et faire pencher la balance de la justice.
Au pays des mollahs, bien et mal se confondent au nom d’un moralisme exacerbé. Les autorités prêchent les convertis, quand la corrompue « persepolice » des mœurs préfère chasser les débauchées plutôt que les assassins. Inspiré de faits réels, ce film tourné hors d’Iran instaure vite un malaise ambiant. La caméra insiste sur les visages agonisants des victimes et le plaisir sadique du bourreau qui n’hésite pas à baiser son épouse à côté d’un cadavre encore chaud, caché sous le tapis. Malgré cette complaisance inutile, le propos reste édifiant. Entre religion et pouvoir patriarcal, les violences faites aux femmes, pécheresses désignées, perdurent et se transmettent. Fier, le fils du criminel se dit prêt à marcher dans les pas de son père, simulant ses méfaits sur sa petite sœur. Si le diable existe, il est profondément humain.
(6.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 2 ans
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