White Noise Royaume-Uni, Etats-Unis 2022 – 136min.
Critique du film
Catastrophe écologique et angoisse technologique
Noah Baumbach dévoile une comédie rare, complète, touchante et terrifiante, à l’orée de bien des genres et d’une catastrophe écologique et technologique.
À Blacksmith, dans l’Ohio, Jack Gladney est un professeur d’université de renom, spécialiste d’Adolph Hitler et du Troisième Reich, aux côtés d’un panel de professeurs aussi gargantuesques que passionnants. Coiffé de sa longue toge en feutre noir et de ses lunettes bleues, Adam Driver, plus éloquent que jamais, est d’un charisme fou. L’auditoire servant au théâtre de ses cours, à la chorégraphie de ses plaidoiries. Or, dans le privé, l’homme redevient humain. Père d’une famille recomposée, dépassée et angoissée, à l’image de Babette, sa troisième épouse, portée par une Greta Gerwig crépusculaire, surmédicamentée et terrifiée par la mort. Et le petit bonheur familial est en proie à bien des bouleversements alors qu’un nuage toxique apparaît au-dessus de la ville.
Habitué des anthropologies sociétales et des drames familiaux, le cinéaste Noah Baumbach («The Squid and the Whale», «Marriage Story»), retrouve sa compagne, Greta Gerwig, et Adam Driver et suit le quotidien de cette famille américaine au milieu des années 80. Quintessence du postmodernisme de la littérature américaine, Noah Baumbach adapte le livre éponyme du romancier américain Don DeLillo publié en 1985. «White Noise» (traduit par «Bruit de fond» en français) est une œuvre prémonitoire teintée par l’angoisse de la mort, dans une Amérique post-Vietnam, consumériste et à l’aube d’un siècle technologique.
Antichambre du XXIe siècle, miroir de cette époque qui se meut vers les ordinateurs et l’inconnu, «White Noise» s’ouvre sur un montage d’accidents et d’explosions de voitures au cinéma. C’est Murray Siskind (un merveilleux Don Cheadle) qui nous en parle dans la pénombre de son cours sur les traditions américaines. Il faut «dépasser la violence des images», implore-t-il devant ses étudiants, pour tenter d’approcher l’optimiste et la spiritualité de l’instant. Voilà qui préfigure les évènements à venir, dans une lettre d’amour au 7e art, frontale, absurde, drôle et poétique.
Ainsi s’entament les 2 heures d’une narration en trois chapitres ; un triptyque vie («Waves and Radiation»), apocalypse («The Airborne Toxic Event»), renaissance («Dylarama»), avec en son cœur une collision. En effet, un camion-citerne de pétrole percute un train de marchandises, ce qui déclenche une déflagration et crache une fumée mortelle dans le ciel. Un impressionnant chapitre de science-fiction et bigrement cinégénique, dans lequel Adam Driver et sa famille - à la manière d’un Tom Cruise dans «La Guerre des mondes» - tente d’échapper à ce désastre écologique qui navigue au gré du vent. Confiné dans le décor fantasmé des années 80, le film manquera certainement d’être plus universel, mais Noah Baumbach révèle une mise en scène prodigieuse pour philosopher par delà l’expérience. Et c’est bien là la force de cette adaptation.
Nerveux, inventif, nous l’avons dit, le cinéaste nous invite à réfléchir en profondeur. Car le bruit de fond qui hante les protagonistes est bien connu de toutes et tous, il est celui de la peur qui hurle inlassablement à l’orée d’un nouveau monde. Pour conjurer la fatalité et l’impuissance : la dépendance à la consommation, aux supermarchés, aux médicaments - un chapitre incarné par un infect Lars Eidinger qui vent ses pilules à Greta Gerwig dans un miteux motel - et aux médias qui observent et s’emparent de tout. «White Noise» est une œuvre qui manipule des émotions contraires, lesquelles renvoient à la contemplation de notre propre déclin qui divertit sans doute plus vite qu’il n’effraie.
Puissant quand le film est superficiel, léger lorsqu’il est profond ; beaucoup pensaient le livre inadaptable, comme le sont, par principe, les romans d'idées. Tourné en pellicule Kodak, porté par la musique de Danny Elfman, la révérence est dense et nostalgique, c’est vrai, parfois sauvage et fastidieuse, mais pour sa couleur et pour ses plans, «White Noise» a aussi l’envergure d’un grand film technique qui nous invite à triompher de notre propre mort. Netflix ne s’y est pas trompé (pour une fois), et alors que Noah Baumbach est au scénario du très attendu «Barbie» réalisé par Greta Gerwig, le tandem présage déjà l’un des grands rendez-vous cinéma de 2023.
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