Chienne de rouge France, Suisse 2023 – 94min.
Critique du film
Au fil du sang
Se lever un matin en ayant envie de filmer du sang : c’est ce qui est arrivé à la cinéaste Yamina Zoutat, qui livre un récit personnel en remontant l’histoire de l’hémoglobine, objet tour à tour de dégoût et de fascination.
Se lever un matin en ayant envie de filmer du sang : c’est ce qui est arrivé à la cinéaste Yamina Zoutat, qui livre un récit personnel en remontant l’histoire de l’hémoglobine, objet tour à tour de dégoût et de fascination.
Sans lui, pas d’existence : précieux liquide qui sauve des vies, transporté toutes sirènes hurlantes, congelé dans des vapeurs glacées, le sang exacerbe les sens ou concentre l’opprobre. En 1999, alors chroniqueuse judiciaire pour la télévision, Zoutat avait assisté au «procès du sang» à Paris, suite à des cas de transfusion de sang contaminé. Fascinée par le regard que porte la société sur cet élément vital, elle suit un convoyeur, une chirurgienne et sa patiente greffée. Scrutant son propre corps comme objet d’étude, mêlant images d’archives, documentaires et de fiction, parfois colorisées en pourpre, elle triture «le rouge» sous toutes les coutures.
Serait-ce un groupuscule féministe? Ou un mouvement communiste? Ni n’un, ni l’autre : chienne (ou chien) de rouge, c’est le nom donné aux chiens de chasse dressés à suivre une piste de sang, celle d’un animal blessé. Pour cela, les chasseurs, bouteille de sang à la main, en répandent un peu partout dans la forêt. Attiré par l’hémoglobine, le chien mène son maître à l’animal blessé, que ce dernier peut achever. L’attrait du sang, c’est aussi ce qui a poussé la réalisatrice à remonter sa piste, et, surtout, à le montrer. «Tu ne montreras pas de sang»: à l’époque du procès, tel était le mot d’ordre de sa hiérarchie. Le sang tabou est dévoilé: des années plus tard, c’est une façon de lui redonner la place qu’il mérite, de libérer le corps des femmes. Fini le bleu dans les pubs pour serviettes hygiéniques: rouge, il gicle, se répand, nous éclabousse et donne la vie.
Un film, c’est forcément une voix: celle des oppressées, celle des oubliées surtout, en particulier les victimes du procès du sang, contaminées à leur insu et mortes quelques années plus tard du sida. Leurs noms n’avaient pas été prononcés, et les responsables, jamais condamnés. Scandale sanitaire, politique et financier qui s’était étendu largement au-delà de la France, l’affaire avait donné lieu à l’expression «responsable, mais pas coupable», une formule restée dans les annales. Fractionné, le sang est scruté sous les microscopes d’images scientifiques. Libre, il s’écoule: un entrejambe de femme – ce sont des règles. Au figuré, les liens du sang racontent une histoire d’identité, un héritage familial dévoilé parfois sur le tard, des échanges lourds à entendre.
Faite de plusieurs parties d’animaux différents, une chimère est également le nom que les docteurs donnent aux patients «transplantés du sang». À la naissance, souffrant d’une maladie hémolytique, la réalisatrice avait vu son sang intégralement changé. Cette nouvelle, apprise sur le tard, avait été un vrai moteur pour elle. Toujours en mouvement, souvent sur la route, les images défilent sans s’arrêter, parfois sans commentaires, laissant les spectateurs sur le bas-côté. Un film, c’est un acte de partage : or, ici, la fascination semble s’être en partie évaporée dans le proscenium, espace qui sépare les spectateurs de la scène, respectivement de l’écran. Mieux vaut s’attarder sur le côté documentaire, et en sortir plus riche de quelques nouvelles expressions liées à l’hémoglobine.
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