The Burdened Arabie Saoudite, Soudan, Yémen 2023 – 91min.

Critique du film

Poignant récit d'un avortement au Yémen

Emma Raposo
Critique du film: Emma Raposo

Premier film yéménite présenté à la Berlinale, The Burdened raconte la trajectoire d’Isra’a et Ahmed, un couple vivant à Aden, qui décident, malgré la loi en vigueur dans leur pays, d’interrompre la grossesse d’Isra’a faute de moyens financiers suffisants.

2019, Aden, pointe sud du Yémen. Le pays est rongé par la guerre civile depuis 2014. La population, elle, subit un quotidien rythmé par les coupures de courant, le manque d’eau, les militaires postés à chaque coin de rue et une inflation galopante. C’est dans ce contexte chaotique qu’Isra’a (Abeer Mohammed) et Ahmed (Khaled Hamdan), déjà parents de trois enfants et au seuil de la pauvreté, doivent se résoudre à prendre une décision difficile: Isra’a est enceinte et le couple n’a pas les moyens d’accueillir un autre enfant. Elle doit avorter.

Le parcours du combattant débute pour le couple, car l’interruption de grossesse est interdite au Yémen. La charia y étant appliquée, avorter est un pêché condamné par l’État. Cependant, selon certains cheikhs, le fœtus n’a pas d’âme avant le 120ème jour de gestation. Isra’a et Ahmed se raccrochent à cette idée pour mieux vivre cette situation pénible. Le temps étant compté, Isra’a et son mari frappent à plusieurs portes, essuyant à chaque fois des refus et entendant la même rengaine: «un enfant est une bénédiction». Au bord du gouffre, le couple finit par recevoir l’aide d’une amie médecin.

L’existence même de «The Burdened» est à bien des égards inespérée lorsque l’on sait qu’au Yémen, l’industrie du film est quasi inexistante, et que seulement une poignée de films ont vu le jour ces dernières décennies sans pour autant avoir été distribués dans le pays. Dans ce contexte, le deuxième long métrage du réalisateur Amr Gamal dépasse le cadre de la fiction pure et flirte avec le genre documentaire, racontant une histoire fictive, mais rendant compte de la vie des Yéménites et documentant la ville en constante mutation, conflits après conflits.

Ainsi, Amr Gamal s’investit d’une mission de témoignage et de transmission pour que les générations à venir se souviennent. Tourné à Aden en conditions réelles, et majoritairement en plans larges, «The Burdened» dévoile une mise en scène ultra-sobre et minimaliste, au plus proche de la réalité. La banalité des scènes quotidiennes, cuisiner, ou préparer les enfants pour l’école, contraste avec la dureté d’une vie dans un pays en guerre. Minute après minute, on suit le couple qui sombre dans le désespoir, piégé dans une voie sans issue. Dans un rythme lent, Amr Gamal instaure une tension latente autour, mais aussi au sein du couple, faisant émerger par la même occasion un sentiment de grande solitude et d’impuissance. Car si l’intention d’Isra’a et Ahmed est légitime, c’est une société entière qu’ils se mettent à dos, allant à l’encontre de leurs convictions, de leur foi et des lois de leur pays.

Après «10 Days Before the Wedding» qu’il avait réalisé en 2018, Amr Gamal dessine dans ce nouveau film aussi bien le portrait d’un couple victime du conservatisme qu’une fresque dépouillée d’une nation embourbée dans un conflit civil sans fin. Plus qu’une fiction, «The Burdened» est un film témoin d’une époque.

29.07.2024

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