Green Line 2024 – 150min.

Critique du film

Le dialogue pour panser les plaies

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Lauréate du premier MUBI Award de l’histoire du Festival de Locarno, la cinéaste française Sylvie Ballyot a suivi Fida, né en 1975 au Liban durant la guerre civile, alors qu’elle tente aujourd’hui de comprendre les horreurs d’antan et d’apaiser ses traumas d’enfants.

Le 13 avril 1975, une guerre civile éclate au Liban après la fusillade d’un autobus palestinien à Beyrouth. À cette époque, une balafre traverse la capitale du nord au sud, une «ligne verte», théâtre d’affrontements violents dans lequel la nature a repris ses droits, qui sépare Beyrouth-Est (à majorité chrétienne) de Beyrouth-Ouest (à majorité musulmane). C’est dans ce contexte que Fida voit le jour en 1975. Aujourd’hui adulte, Sylvie Ballyot l’accompagne dans les rues de son enfance pour revenir sur ces “monstres” qui la hantent. À hauteur d’enfant, elle utilise un dispositif de poupées et de constructions en papier pour redonner vie aux souvenirs et inviter les combattants des milices de l’époque à faire le point sur leurs versions des faits.

Elles se connaissent depuis 20 ans. Pour reconstituer les souvenirs de la guerre de son amie, Sylvie Ballyot avait initialement écrit une œuvre de fiction. Un projet avorté pour des raisons financières, et puis la cinéaste s’est mise à créer ces petites figurines. Effet cathartique immédiat, les poupées deviendront cet outil privilégié pour déclencher la parole, revivre les évènements ailleurs que dans son esprit et maintenir une démarche à hauteur d’enfant lors des rencontres avec les anciens miliciens (Hezbollah ou chrétien phalangiste), dont l’un s’est notamment repenti publiquement. En conversation avec Locarno, Fida le dit elle-même. «Je ne les confrontais pas. J’étais intéressé parce qu’ils avaient à dire. (...) En général, on vient vers eux parce que l’on veut demander des comptes. Je voulais juste comprendre. Alors, ils m’ont expliqué».

Le Samedi noir, le massacre de Damour, de Karantina, de Sabra et Chatila; ponctuée d’images d’archives, de moments animés, «Green Line» est une œuvre fleuve, éclectique, hybride. Un morceau d’histoire au pays du Cèdre, à la fois thérapie personnelle et outil pédagogique, qui déploie la complexité du Liban et interroge le fanatisme, et les idéologies, quels que soient leurs bords. Impressionnante de calme et de sang-froid, alors qu’elle s’entretient avec les responsables de l’”enfer rouge” de son enfance, à la lumière de l’embrasement actuel, le petit miracle de «Green Line» est certainement de recréer la possibilité d’un dialogue pour penser le Moyen-Orient, le Liban, la Palestine.

(Locarno 2024)

23.08.2024

4.5

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