Critique du film
Cristal du long métrage à Annecy 2024
Œuvre singulière et marquante, le drame en stop-motion de l’Australien Adam Elliot retrace les malheurs d’une orpheline collectionneuse d’escargots.
Mondialement célèbre, le Festival international du film d'animation d’Annecy s’est achevé samedi 15 juin sur un record de participation, avec 17’400 accrédités en provenance de 103 pays. Quinze ans après avoir obtenu la récompense suprême pour «Mary et Max», l’Australien Adam Elliot a une nouvelle fois conquit le jury avec «Memoir of a Snail», qui a glané le Cristal du long métrage. Il succède ainsi à l’excellent «Linda veut du poulet», de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta. Ce dernier était d’ailleurs aussi coloré et désopilant que «Memoir of a Snail» se révèle gris et déprimant…
Lorsque le générique de fin démarre, les yeux embués de larmes, on se dit que l’on vient d’assister à une œuvre forte, puissante, extrêmement qualitative… mais trop plombante pour que l’on se sente capable de crier au génie. Solitude, maladie, séparation, deuil, harcèlement… Adam Elliot n’y va pas de main morte pour raconter l’histoire de Grace. Lorsqu’elle et son jumeau Gilbert naissent, leur mère meurt en couche. Élevés dans la pauvreté, marginaux, harcelés à l’école, les deux enfants grandissent avec des passions improbables: la collection d’escargots pour Grace, qui a pour seule envie de rester cachée dans sa coquille, la magie et le feu pour Gilbert, qui rêve d’être artiste de rue à Paris comme l’était son père pour échapper à sa réalité.
Plus tard, leur père paraplégique et alcoolique meurt à son tour. Grace et Gilbert sont alors arrachés l’un à l’autre et envoyés aux deux bouts de l’Australie. Alors que Gilbert atterrit dans une famille de fanatiques religieux, les malheurs continuent pour Grace, qui a pour seules amies l’escargot Sylvia et une octogénaire excentrique prénommée Pinky.
Traits du visage tirés vers le bas, grands yeux tristes, vêtements sombres: l’univers visuel et la palette graphique terne utilisés dans «Memoir of a Snail» collent parfaitement au récit morose qu’il raconte. Du scénario à l’écran, le long métrage d’1h30 a pris huit ans à se faire. Sept animateurs ont travaillé durant huit mois sur le tournage, produisant chacun une dizaine de secondes par jour. Plus de 200 personnages, environ 200 décors et 5000 accessoires ont été fabriqués à la main de manière traditionnelle et aucune image du film n’a été générée par ordinateur. Le feu a par exemple été fabriqué avec du cellophane jaune, et la fumée avec du coton.
Chronique tragique et cruelle, toutefois dotée d’humour noir et d’une once d’espoir, «Memoir of a Snail» est de ces œuvres qui embarquent, qui captivent, et dont l’on se souviendra probablement longtemps. L’atypique Grace provoque immédiatement l’empathie, tout comme le doux Gilbert et la joyeuse Pinky, la seule à croquer la vie à pleines dents. C’est elle qui apportera par petites doses joie et espoir salvateur. À la coquille d’escargot comme refuge, pour se cacher, pour devenir invisible, succèdera ainsi l’envie de se battre contre les cages, celles dans lesquelles on nous enferme, mais surtout celles que l’on crée soi-même.
(Festival d’animation d’Annecy 2024)
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