3 kilomètres jusqu'à la fin du monde Roumanie 2024 – 105min.
Critique du film
Récits cloisonnés
Quatrième long-métrage du réalisateur roumain Emanuel Parvu, «Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde» propose une représentation efficace, mais sûrement trop convenue et schématique, d’un sujet maintes et maintes fois traité.
Adi (Ciprian Chiujdea), jeune étudiant à l’université, retourne chez ses parents pour l’été. Un soir, tard, il se fait violemment agresser par des habitants de ce tout petit village insulaire. Si les coupables de cet acte sont vite retrouvés, la mise à jour des raisons ayant motivé leur geste sèmera la zizanie au sein de la petite communauté. Adi a été violenté, car on le soupçonne d’être homosexuel. Pas de chance, sur l’île, on considère encore cette orientation sexuelle comme une maladie.
Dans les premiers temps de «Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde», les parents d’Adi sont de son côté : iels désirent le venger, trouver les fautifs et leur faire payer pour leur acte. Mais rapidement, les choses s’inversent. Les coupables, qui ne se cachent qu’à moitié, ne semblent ni avoir honte de leur acte, ni peur de ses possibles répercussions. Suite à la révélation de l’homosexualité de leur fils, c’est du côté des parents que la honte se fait ressentir. Cette information les obsède, car elle risque d’entacher leur image sociale au sein de cette petite communauté : alors, leur volonté de justice s’évapore. Désormais, leur problème, c’est Adi. Ils feront alors tout leur possible pour le «soigner», sans se gêner, elleux aussi, de faire usage de violence physique. Dans ce changement de camp drastique repose toute l’absurdité que le film met délicieusement en lumière. Sur cette petite île, tabasser quelqu’un de sang-froid semble bien moins grave que d’être attiré par les individus du même sexe que soi.
À ce retournement bien pensé se lie une mise en scène simple et épurée. De longs plans aux cadrages signifiants, qui jouent notamment beaucoup sur les surcadrages, comme pour exacerber le cloisonnement social et géographique – il ne peut s’échapper de cette île – dont Adi est victime. Simple, l’écriture l’est aussi, mais parfois un peu trop. Souvent schématique, cette dernière propose une représentation manquant d’ambiguïté, où Bien et Mal, « gentil·le·s » et « méchant·e·s », ne peuvent être confondus. Ce manque de profondeur dans l’écriture se joue notamment en la défaveur de la complexité des personnages. Et c’est notamment le cas pour Adi, que Parvu peine à caractériser autrement que par son homosexualité : si le village le réduit injustement à son orientation sexuelle, il est difficile de dire que le film ne reproduit pas ce geste.
Nous pouvons alors questionner cette tendance récurrente des films ayant un personnage principal homosexuel à faire de son orientation sexuelle le sujet central de l’œuvre, tout en nous disant ensuite l’histoire d’une exclusion violente et aberrante. Il est naturellement crucial que cette trame ait pu être dite, maintes et maintes fois représentée, tant elle est en lien avec le réel et tant il faut qu’elle ne le soit plus. Mais, à la longue, participe-t-elle encore au bien de la cause ? Le geste de résistance cinématographique face à l’homophobie ne devrait-il pas désormais plus régulièrement s’écarter de ce type de narrations pour que ses protagonistes puissent ne plus être réduit·e·s à leur orientation sexuelle par les films eux-mêmes ?
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