Ceux qui travaillent Belgique, Suisse 2018 – 105min.
Critique du film
Emmuré dans le silence
Présenté au dernier festival de Locarno, Ceux qui travaillent est cette oeuvre qui transpire le minimalisme. Un homme, Frank (Olivier Gourmet), qui refuse de faire du sentiment. Rien ne dépasse, rien ne peut l’atteindre, tout est contrôlé. Antoine Russbach décrit un père de famille discret, élevé à la dure, qui avance sans sourciller. Il abat des heures de travail et ramène ce qu’il faut pour que sa famille ne manque de rien. Mais sa discrétion, son dur labeur et sa fierté vont lui jouer des tours.
Frank ne parle pas, il agit. Un homme d’action qui ose tout pour sauver les meubles de son entreprise qui le paie grassement. Mais son dévouement sans faille lui portera préjudice, car son entreprise ne goûte que très peu à sa petite manigance pour la sortir d’une affaire épineuse. L’objet du problème ? Frank s’occupe de cargos qu’il affrète. Téléphone vissé à l’oreille, il bascule de l’anglais au français et discute sans relâche avec les navigateurs pour s’enquérir des quelconques désagréments. Un jour, une situation de crise dégénère et le voilà débarqué par son entreprise. Une décision inhumaine qui précipite sa chute. Le monde du travail vous rend insensible, semble nous dire Russbach. Dorénavant sans argent et tétanisé d’avouer sa faute grave à sa propre femme, Frank s’emmure dans le silence.
Ceux qui travaillent transpose la réalité glaçante du travail dans sa forme la plus brute possible, sans le moindre artifice. Antoine Russbach dépeint la brutalité du monde du travail à travers un homme qui pratique l’incommunication. Dans son enfance, on lui a inculqué qu’il fallait se taire et juste travailler. Cas totalement contraire pour ses enfants qui eux sont plus enclins à tapoter sur leur écran de téléphone portable plutôt que de se tuer à la tâche. Contraste saisissant.
Frank symbolise l’anti-héros, devenu vulnérable et vidé le jour où on lui retire son travail. Même si l’aspect pécunier demeure important, c’est avant tout ce à quoi il pensait être utile qui s’écroule. Sans son travail, son rôle de père ne lui apparaît pas (ou plus) comme une évidence, tout comme son rôle de mari. Plus rien, mais c’est un tout autre regard que Frank va embrasser. Au contact de sa cadette, Mathilde, il verra son rôle et sa vision de la vie sous un autre angle. Russbach jongle subtilement avec l’évolution de son personnage principal, mais sa mise en scène froide reste très timide, voire ennuyeuse. Un regard très sobre, trop peut-être, une oeuvre rigide qui ennuie par sa faculté à tirer en longueur.
En bref ! Des bases intéressantes dès l’entame, qui laissent place à un récit statique. Derrière la bonne performance, tout en retenue, d’Olivier Gourmet, Ceux qui travaillent souffre d’une mise en scène qui manque de force émotionnelle, nous laissant extérieurs aux tracas vécus par Frank.
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Commentaires
« La gueule de l’emploi »
Frank consacre sa vie au travail. Responsable dans une entreprise genevoise, il gère de nombreux cargos acheminant, aux quatre coins du monde, denrées et matériel, pour le compte de grandes compagnies. Suite à une décision immorale, il perd son emploi et ses repères.
Le rituel est quotidien, immuable. Lever à 5 h 45. Douche glacée. Chemise bleue « choisie » dans l’armoire. Préparation des cafés avec Mathilde, la petite dernière. Réveil de ses frères et sœurs encore endormis. Avant de partir, un dernier regard pour son épouse, mais ni mots ni baiser échangés.
Selon sa conseillère en orientation professionnelle, Frank a une personnalité qui ne peut s’épanouir que dans le cadre de son emploi. Fiable, impliqué, efficace, insensible, il a gravi tous les échelons à la seule force des poignets, atteignant une position inespérée, lui qui est parti de rien. Quand, du jour au lendemain, il se retrouve sans ce moteur, c’est sa stature et le train de vie de sa famille – 5 enfants gâtés à entretenir – qui sont en péril. Regrette-t-il son acte ? Uniquement l’hésitation qui l’a perdu… De quoi céder, pour le prix d’une piscine, son âme au diable.
Ce premier film incisif en rappelle d’autres proches – L’emploi du temps, Ressources humaines, Corporate, … – sur l’aliénation de l’humain par le monde impitoyable de l’entreprise. Olivier Gourmet imprègne son personnage et l’ambiance générale d’un air grave, dur et glacé. C’est un roc qui ne s’ébrèche que rarement. Seul le regard innocent de sa cadette le maintient encore vivant.
6.5/10
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