CH.FILM

L'art du silence Suisse 2022 – 81min.

Critique du film

Mimer la vie pour contrer la mort

Critique du film: Laurine Chiarini

Derrière le visage blanc de son personnage reconnaissable entre mille, peu connaissent la vie de Marcel Marceau, né Mangel. Au travers d’un portrait qui prend sa source dans son histoire familiale, le réalisateur explore l’héritage du fameux mime, plus actuel que jamais.

Partant d’un père sourd qui avait trouvé dans le mime une forme d’expression propre, le Suisse Maurizius Staerkle Drux explore la richesse d’un monde tout sauf muet. De l’engagement de Marcel Marceau dans la résistance française à l’héritage artistique porté par sa famille, c’est l’histoire souvent ignorée d’un artiste universellement reconnu qui se déroule sous nos yeux.

De David Bowie à Michael Jackson, nombreux sont les artistes qui doivent au célèbre mime un petit bout d’âme de leur «persona». Le rire et les larmes sont universels, se plaisait-il à dire. Son personnage de Bip, rêveur en marinière coiffé d’un haut-de-forme cabossé orné d’une fleur rouge, ni homme, ni femme, pouvait s’adresser aussi bien à un public japonais qu’une audience de GI’s américains. Au-delà d’un simple divertissement, son universalité faisait sa force. Engagé dans la résistance pendant la seconde guerre mondiale, Marceau jouait pour les enfants qu’il faisait passer de l’autre côté de la frontière, les accompagnant en Suisse vers plus de sécurité.

À l’origine du film, une histoire personnelle : celle du père de l’auteur, sourd de naissance, qui a trouvé dans le mime sa propre forme d’expression. Mais comme au cinéma, l’art du silence n’est jamais réellement muet. Entre les mots du père, audibles lorsqu’il s’exprime en langue des signes, le crissement des semelles du mime sur la scène ou les effets sonores qui viennent ponctuer ses gestes, le silence n’est pas l’écho d’une absence, mais un terreau fertile dans lequel les gestes viennent s’enraciner pour prendre vie. Marceau cite Chaplin et Keaton en maîtres de l’art de la pantomime. Le cinéma, interlocuteur constant tout au long de sa vie, n’est jamais très loin.

Couvert d’une couche de fard blanc, le visage du mime se fait écran, toile sur laquelle émotions et personnages viennent se projeter à l’infini. Alors que le genre du documentaire biographique peut s’avérer risqué, le réalisateur Maurizius Staerkle Drux n’écrase pas la descendance sous le poids de l’héritage. Au-delà de donner la parole à la famille de l’artiste, c’est un espace distinct qu’il offre à chacun et chacune. Son petit-fils Louis Chevalier, danseur, forge son chemin dans sa propre lumière. «Je reste un homme, mais qui porte une robe», déclare-t-il quand, vêtu d’une robe verte à pois, il danse au sommet d’une dune.

Filmer les arts de la scène n’est pas chose aisée. Habillées par la lumière du caméraman Raphael Beinder, les images, jamais statiques, alternent entre archives, interviews et instants suspendus sur scène lors des répétitions de «Fractales», production familiale d’Anne Sicco sur l’héritage laissé par son époux. Passant de la psychoacoustique à des airs de jazz, la bande-son, également composée par le réalisateur, souligne la multitude de voix d’un monde à l’allure faussement feutrée qui sait faire briller le silence.

24.11.2022

4

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