A Skin So Soft Canada 2017 – 93min.

Critique du film

Le contrôle de l’apparence à son paroxysme

Adrien Kuenzy
Critique du film: Adrien Kuenzy

Denis Côté est un habitué du Locarno Festival. Son premier long métrage Les états nordiques remportait en 2005 le Pardo d’Oro de la Compétition vidéo. Trois ans plus tard, Elle veut le chaos obtenait le Prix de la meilleure réalisation, tout comme Curling en 2010.

Le dernier film du Québécois, Ta peau si lisse, un documentaire présenté cette année en compétition, met en lumière le rapport complexe qu’entretiennent les culturistes avec leur corps pendant le processus les préparant à la compétition, moment crucial dans leur art de la représentation et étape essentielle dans l’exercice de leur profession. La discipline extrême que s’imposent les six athlètes du film – Jean-François, Ronald, Alexis, Cédric, Benoît et Maxim –, s’articule autour d’une suite d’actions répétitives qui rythment leurs journées: l’entraînement aux poids et les phases de repos s’alternent dans un mouvement continu, entrecoupé par des séances de « gavage » douloureux. Oui, l’athlète doit détruire son muscle pour qu’il se reconstruise tout en augmentant son volume, ce que Denis Côté suggère plus qu’il ne l’explique. Oui, l’athlète se fatigue aussi en ingurgitant d’énormes quantités de glucides et des pilules multicolores, comme dans ce plan serré pendant lequel Jean-François peine à reprendre son souffle entre les bouchées qu’il s’impose. Aussi, la préparation aux concours passe par la répétition des poses et du jeu sur un podium fictif ; le culturiste est un acteur sur scène, affichant un regard vide, un sourire crispé, laissant place à une plastique à la fois «irréprochable» et monstrueuse. Dans un quotidien millimétré, l’improvisation et le lâcher-prise restent dans un premier temps extérieur à nos héros.

Durant ces phases de préparation, le cinéaste parvient ainsi à mettre en avant l’individualisme exacerbé qui caractérise le quotidien des six protagonistes. Tout est centré sur l’effort physique permettant d’atteindre un résultat, aucun regard n’est échangé lorsque les athlètes se croisent dans les couloirs des salles de musculation, seules comptent les routines pour arriver à la perfection. La longueur des plans permet au spectateur d’entrer en immersion dans l’univers mécanique des athlètes. L’immobilité des cadrages met en évidence leurs efforts. Tout n’est que plasticité, image et discipline. Lors de la phase de représentation, les mouvements de caméra lient enfin le public aux athlètes qui accueillent pleinement la reconnaissance, un gage de survie.

Ta peau si lisse parvient enfin à poser une question existentielle: si les machines et les podiums disparaissent, que reste-t-il à nos héros? La répétition mécanique des gestes et l’absence totale de psychologie peut-elle laisser place à une forme d’intériorité dans un univers totalement différent? Ce documentaire hybride, proche de l’essai et aux envolées lyriques est certainement un petit bijou de la compétition internationale du festival.

L'auteur fait partie de la Critics Academy du Locarno Festival 2017.

07.08.2017

4

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