I feel good France 2018 – 103min.
Critique du film
Refaire la face du monde
La 71e édition du Locarno Festival s'est achevée avec la projection sur la Piazza Grande d'I Feel Good, de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Tous deux anciens chroniqueurs de l’émission satyrique Groland, ils coréalisent des films empreints d'une douce critique de la société.
Créer un besoin qui n'existe pas. Voilà une phrase qui résume le principe capitaliste que Jacques (Jean Dujardin) incarne avec un zèle déconcertant. Convaincu d'avoir trouvé le projet qui le rendra riche, PDG et unique employé d'une entreprise de tourisme "chirurgie plastique" low cost en Bulgarie, il se rend dès lors dans le village Emmaüs Lescar Pau, où travaille sa sœur Monique (Yolande Moreau), afin de dégoter ses premiers clients. «Oser, risquer l'Utopie avec et pour l'homme» est une maxime placardée en ces lieux que Jacques retournera contre l'homme. Il persuade les compagnons du village qu'ils pourront, en changeant intégralement leur apparence, réaliser leur plus grand rêve, quitte à leur en inventer un s'il n'existe pas encore.
Le ridicule du personnage vient du fossé entre ce qu'il s'imagine être, un self made businessman, et ce qu'il est effectivement, un homme sans-le-sou dont la réussite ne peut que se construire sur la misère des plus fragiles. Le scénario insiste, peut-être trop, sur sa dépendance aux autres. Et même s'il se voile la face, il n'est, en somme, qu'un marginal qui aspire à se faire accepter par la société. En ce sens-là, le film peut se définir comme une satire du néo-libéralisme.
Malheureusement, cela ne suffit pas à en faire une œuvre convaincante. Son aspect réaliste (les plans sur les amas d'objets délaissés, le tournage en décor naturel) n’est jamais véritablement en adéquation avec la dimension comique. Au lieu de parvenir à dénoncer, par le recours à la comédie, une situation sociale, le burlesque s'autonomise pour devenir répétitif, douteux, abusif. Avec comme apothéose de ce travers cette scène où Jacques et une de ses victimes se font des passes de crachats, geste à maîtriser pour paraître – et donc être aux yeux du protagoniste – footballeur. Pourtant, Jean Dujardin adopte un jeu plus calme, moins extraverti, qui lui confère une profondeur absente dans la plupart de ses rôles jusqu’ici.
On ne peut pas en dire autant du jeu de Yolande Moreau, qui repose sur un sourire béat et une profonde naïveté. Même si l'intention des réalisateurs, rendue manifeste à la fin, d’incarner la beauté et la réussite ailleurs qu’à travers la seule apparence, les qualités de Monique ainsi que des personnes de la communauté flirtent de trop près avec la candeur pour permettre au spectateur d'en éprouver leur particularité.
En bref ! Gustave Kervern et Benoît Delépine échouent finalement à donner suffisamment de consistance aux personnages, en dehors de Jacques, conduisant le propos d'I Feel Good à se retourner contre lui-même. Il n'empêche que le projet de réaliser une comédie grand public qui ne reste pas superficielle est louable, et que le film n'en demeure pas moins divertissant.
(L’article ci-dessus a été réalisé par Sabrina Schwob dans le cadre de la Locarno Critics Academy.)
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Commentaires
« Ah ! s’il était riche »
Mules aux pieds et peignoir sur le dos, Jacques débarque dans la communauté Emmaüs, supervisée par sa sœur Monique. Son intention est d’y trouver des clients qui le rendront enfin riche.
Loin d’être fataliste, Jacques est un idéaliste égocentré, convaincu que sa destinée est de gagner des millions en faisant travailler les autres. Ce loup de la rue du mur qui, petit, collectionnait, dans un album Panini maison, les portraits découpés de ses idoles – Tapie, Pinault, Arnault et compagnie – croit avoir trouvé l’idée du siècle : permettre aux pauvres, qui n’ont plus aucun rêve, de devenir beaux, grâce à la chirurgie esthétique bulgare.
L’humour grolandais des joyeux lurons Delépine et Kervern est au rendez-vous. Dans une succession de sketches plutôt réussis, ils associent à une ironie lunaire et tendre, un constat cruellement réaliste sur le monde d’aujourd’hui. Jean Dujardin se délecte à jouer l’abbé piètre, distillant du panache dans son personnage de perdant magnifique. Quant au village Emmaüs, il ressemble à un cirque coloré avec sa monstrueuse parade. Mais, tous les matins, dès que s’ouvrent ses portes, c’est une nuée de gens dans le besoin qui courent pour être les premiers à dénicher ce qui leur manque, parmi les rebuts des autres.
Si cette fable sociale révèle les désillusions de la gauche, elle confirme aussi que la vraie richesse n’est pas celle que l’on coffre dans une banque.
6.5/10
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