The Invisible Life of Eurídice Gusmão Brésil, Allemagne 2019 – 139min.
Critique du film
Un enfant contre le patriarcat
Adapté du roman «Les mille talents d’Euricice Gusmão» de l’auteure brésilienne Martha Batalha, La vie invisible d’Euridice Gusmão a commencé sa carrière à Cannes, où il a remporté le Prix Un certain regard. Signé Karim Aïnouz, l’homme derrière La Plage du désir présenté en 2014 à la Berlinale, Madame Sata nommé au prix Un certain regard en 2002 ou encore La Falaise argentée montré à la Quinzaine des réalisateurs en 2011, La vie invisible d’Euridice Gusmão représentent et questionnent lui aussi les violences psychologiques, physiques et sexuelles, ainsi que le poids des normes sociales.
Avec ce nouveau métrage, Karim Aïnouz dresse le portrait saisissant de deux femmes courageuses, deux sœurs attachantes se vouant un amour inconditionnel et empêché par un père trop attaché aux traditions et aux «qu’en dira-t-on». Au cœur des années cinquante, les mensonges et des décisions abusives des hommes ainsi que la lâcheté d’une mère laissent souffrir seules Euridice et Guida. Invisibles aux yeux d’un Brésil patriarcal, les seules aspirations louables d’une femme passent par le ventre et l’annulaire.
Le bonheur n’a aucune autre raison d’exister pour elles si ce n’est en prenant le chemin du mariage et de la famille. Quel destin peut alors attendre deux sœurs éprises de liberté, en quête désespérée d’émancipation? Que reste-t-il à la fin de ces deux femmes et de ce qui leur est propre? Du rêve d’être pianiste de l’une, et de l’incorrigible envie de n’avoir de compte à rendre à aucun homme de l’autre?
Ce n’est pas le premier film qui se frotte au destin de femmes brisées par une société machiste où l’homme est tout puissant. Et malgré son titre, La vie invisible d’Euridice Gusmão ne s’attarde pas seulement sur Euridice mais aussi sur sa sœur Guida, toutes deux invisibilisées par leur père, leur mari, leur place dans la société et leur condition de femme. Très différentes en apparence, leur trajectoires se répondent dans les obstacles qu’elles rencontrent.
Portées par l’espoir de se retrouver un jour, de ne jamais s’oublier et de tenir coûte que coûte face aux injustices, elles supportent chacune de leur côté les difficultés de l’existence… jusqu’à jeter l’éponge et précipiter le film vers son épilogue. Romanesque quand il s’agit de plonger dans les méandres du destin de ces deux femmes, Karim Aïnouz construit son film autour d’un miroir. Deux intrigues parallèles s’effleurent mais ne se rencontrent jamais. Chaque situation se dédouble avec d’un côté la version officielle et familiale, de l’autre la version clandestine. Si la femme porte la vie en elle, c’est aussi par son ventre qu’elle doit chérir la réputation de sa famille.
Euridice porte le fardeau de la femme conventionnelle, interchangeable, broyée par la société. Mariée à un homme à la place de sa sœur, elle n’a pas d’identité propre. Contrainte d’abandonner son rêve de musicienne, son personnage pointe du doigt la brutalité des hommes à l’égard des femmes. Son premier rapport sexuel franchi la frontière du viol, la pression de la maternité efface la femme derrière son rôle de mère, le désespoir se meut en «PMD», psychose maniaco-dépressive… Guida raconte alors l’histoire d’une femme qui, étourdie par un amour de jeunesse, paye par la pauvreté la honte qu’elle a fait s’abattre sur sa famille. Pour échapper à ces réalités sordides, toutes deux fantasment la vie de l’autre, entretiennent l’image d’une vie invisible, échappatoire de leur existence.
Le prologue en sous régime, attendu et pas très original se fait vite oublier par la mise en scène et la réalisation de Karim Aïnouz. Grâce à son brillant découpage et à ses ralentis parfaitement maitrisés, la scène où les deux femmes manquent se croiser dans un restaurant est d’une puissance sentimentale remarquable. Mais plus encore que cette unique scène, la pesanteur de Rio contamine toute la pellicule. Les couleurs chatoyantes se font lourdes, la lumière du soleil humidifie la ville, les corps deviennent moites. Rio est un immense labyrinthe séparant à jamais les deux sœurs. Sans tabou, la caméra se rapproche des corps. Met l’accent sur les sentiments des personnages, leurs joies puissantes comme leurs douleurs muettes.En bref!
Karim Aïnouz signe un puissant manifeste contre le conservatisme des sociétés patriarcales. Variation contemporaine du mélodrame, ce qui se dit en filigrane c’est que malgré une certaine émancipation, les choses n’ont pas tellement changer pour les femmes d’aujourd’hui. Encré dans un quotidien désenchanté que le réalisateur s’amuse à décortiquer, La vie invisible d’Euridice Gusmão est un récit puissamment féministe.
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Commentaires
L’histoire extraordinaire de deux sœurs, Euridice et Guida, complices adolescentes, adultes séparées, l’une amoureuse mais abandonnée, l’autre pianiste fuyant le mariage et la maternité, chacune voulant vivre sa vie et ses rêves. Un portrait magnifique de femmes courageuses, dans une société patriarcale brésilienne des années 50 où chaque union charnelle ressemble à un viol. Presque insoutenable. En "filigrane" une correspondance échangée « dans le vide » jusqu’à la fin de leur vie. Poignant.… Voir plus
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