Little Joe Autriche, Allemagne, Royaume-Uni 2019 – 105min.

Critique du film

Un trip SF paranoïaque et vénéneux

Camille Vignes
Critique du film: Camille Vignes

Sixième long-métrage en vingt ans, Little Joe fait entrer sa réalisatrice dans une nouvelle dimension. Celle de l’accessibilité d’abord, en passant à l’anglais après ces premiers films. Celle du Festival de Cannes ensuite, du moins de sa compétition officielle, où Emily Beecham (campant l’héroïne du récit) a reçu le prix d’interprétation féminine et où le film était nommé dans douze autres catégories (notamment pour son scénario, sa mise en scène mais aussi au Prix du Jury ou encore au Grand Prix du festival). Celle du trip paranoïaque et vénéneux enfin, trip qui brasse les genres et les discours avec énormément de finesse.

Little Joe raconte l’histoire d’Alice, phytogénéticienne spécialisée dans le développement de nouvelles espèces de plantes et qui essaye de breveter sa dernière création. Rouge vermillon, cette nouvelle plante à une particularité pour le moins singulière puisque, quand son propriétaire en pend soin, elle dégage des hormones qui provoqueraient joie et bonheur. Argument marketing imparable pour vendre des millions de pousses et pour contrer les populations dépressives, la plante nommée Little Joe est, très peu de temps avant sa mise en circulation, victime des interrogations de sa génitrice quand cette dernière commence à trouver étrange le comportement de ses collègues. Comme s’ils étaient manipulés voir possédés par la fameuse Little Joe.

Mise en scène léchée, couleurs invraisemblables, découpage hyper intelligent et ambiance sonore claustrophobie, Jessica Hausner ne cache jamais son savoir faire virtuose et sa maitrise du médium. Tout dans le développement visuel de l’intrigue semble avoir été pensé pour enfermer son spectateur dans un trip SF paranoïaque qui flirte parfois avec l’horreur psychologique et qui ne laisse jamais aucune chance de s’en sortir. À l’écran, la réalisation ne s’excite jamais. La caméra est toujours posée, se permet des hors champs intelligents, expulse certaines scènes pour n’en montrer que leur reflet (s’empêchant en même temps de tomber dans le cauchemar pur et simple).

Emily Beecham offre une partition d’une rare finesse, elle qui se doit de transcender la froideur quasi psycho-rigide de son personnage pour faire valoir d’infimes changements émotionnels (du moins physiquement). Mais si la tempête contenue de ses sentiments est toujours juste, le point de vue de la caméra n’est jamais totalement le sien. Toute l’ambiance sonore est d’ailleurs là pour faire de l’angle de vue principal celui de quelqu’un, ou de quelque chose d’autre: Little Joe elle-même. Codifiée à l’extrême, la moindre variation de son sous-titre le comportement de la plante. La réalisation extrêmement posée, presque statique et souvent simple spectatrice de l’action principale va d’ailleurs dans ce sens. Le spectateur regarde par les yeux de la plante.

Par bien des aspects, Little Joe reprend les codes du genre déjà exploités dans des monuments du cinéma (comme Les femmes de Stepford) en faisant courir son personnage principal vers une chute inévitable, relevant d’une sorte de pathos grec en ce que la destinée de l’héroïne lui échappe totalement, et quoi qu’elle fasse. Une chute entièrement due au comportement viral d’une entité niant la notion même d’individu et qui, par sa propagation, créer une masse unique composée de plusieurs organismes distincts avançant tous vers un but commun: l’universalité. Ici l’agent pathogène est d’autant plus terrible qu’il n’est pas question d’une invasion extra-terrestre mais d’une simple fleur, génétiquement modifiée et créée par l’homme. Mais derrière la question de l’expérimentation génétique et de ses limites, c’est celle du bonheur que sous-tend Little Joe. Un bonheur factice est-il préférable à un désespoir réel et profond?

En bref!Un brin sardonique dans sa manière d’aborder la question du bonheur et l’obligation à le ressentir, Little Joe est une fable de science-fiction paranoïaque et anxiogène. Témoignage d’une pure maîtrise technique, le scénario et la réalisation de Jessica Hausner se font complices des agissements de Little Joe, pour mieux renverser les codes du genre.

28.01.2020

4.5

Votre note

Commentaires

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement

Autres critiques de films

Gladiator II

Red One

Venom: The Last Dance

Le Robot Sauvage