La Voix d'Aida Autriche, Bosnie Herzégovine, France, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Roumanie, Turquie 2020 – 103min.
Critique du film
L’horreur de Srebrenica à travers les yeux d’une femme
C’est une des pires tragédies après la Seconde Guerre, le massacre de Srebrenica hante encore aujourd’hui les esprits. Sur les traces d’Aida, traductrice-interprète pour les Nations Unies, la réalisatrice Jasmila Zbanic livre une immersion poignante dans ce chapitre sombre de l’histoire européenne.
Juillet 1995, l’enclave de Srebrenica est prise d’assaut par les forces serbes de Bosnie dirigées par Ratko Mladic, forçant les civils à déserter la ville et laisser derrière eux toute leur vie. Retranchés pour certains dans la base des casques bleus néerlandais, les habitants attendent de pouvoir retrouver leur maison. Si quelques milliers de civils ont pu se réfugier dans l’enceinte du camp de l’ONU, des milliers d’autres sont parqués aux portes du camp.
Dans cette mare humaine, Aida (Jasna Djuricic), une enseignante convertie en traductrice pour le compte des Nations Unies, se démène pour savoir ce qu’il va advenir de ses concitoyens. Elle qui est aux premières loges des négociations, comprend que l’heure est grave. Après avoir fait entrer ses deux fils et son mari dans la base, et face à l’incapacité et l’incompétence des Nations Unies de protéger la population locale, Aida se bat comme une lionne pour que sa famille puisse quitter les lieux saine et sauve.
Présenté en compétition internationale au Festival de Venise en 2020, et sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger, La Voix d’Aida est un vibrant hommage aux quelque 8000 victimes directes et des milliers d’autres collatérales du génocide perpétré par les troupes de Mladic. C’est, d’une façon plus générale, un récit vibrant d’une mère et d’une épouse désespérée de sauver les siens. Et le récit doit en grande partie sa force à son actrice principale, l’exceptionnelle Jasna Djuricic incarnant le personnage fictif d’Aida, qui tient le film à bout de bras du début à la fin. Déterminée, se battant envers et contre tous, Aida arpente sans relâche les couloirs de la base pour tenter de sauver enfants et époux. Question de vie ou de mort, elle est l’incarnation de toutes les mères qui n’abandonnent jamais.
Avec ce cinquième long métrage, Jasmila Zbanic nous rappelle l’horreur vécue par des milliers de personnes il n’y a encore pas si longtemps. La cinéaste native de Sarajevo suggère plus qu’elle ne montre permettant au film d’atteindre une force de frappe émotionnelle d’autant plus percutante. De scènes d’une extrême violence seulement suggérée, d’où paradoxalement il se dégage un calme étrange, Jasmila Zbanic dépeint avec une grande sensibilité et beaucoup de pudeur le désespoir, mais aussi la résilience, ou quand les victimes finissent par côtoyer leurs bourreaux. Bouleversant.
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Commentaires
La haine de la naïveté
Srebrenica, juillet 1995: Aida, professeur est traductrice auprès de l’ONU à leur camp de réfugiés. La ville bosniaque attaquée par les serbes provoque un puissant exil et bon nombre de personnes se trouvent aux portes du camp, dont son époux Nihad et leurs enfants. Lorsque le général Mladic chef de l’armée serbe convoque une négociation et annonce organiser l’évacuation des civils si non armés, la famille sent le piège et souhaite être réunie. Mais le haut commandement onusien semble plutôt hostile.
Le voici donc ce cri de Jasmila Zbanic sur l’un des deux plus honteux génocides du XXÈME siècle. Il fallait une vision féminine pour provoquer un électrochoc. Mission coup de poing terriblement réussie.
Les regards représentent une arme redoutable : les premiers soumis à l’entame juste avant l’arrivée des troupes serbes conditionnent sur ce que sera le film : non pas un blockbuster sur les horreurs commises avec images de bataille choc mais bien un témoignage terre-à-terre de l’enfer vécu par la population locale.
Le sentiment de haine ne m’a pas quitté sur la quasi intégralité du film : tout d’abord contre cette situation historiquement connue et qui, adolescent, m’avait poussé à imaginer un scénario à la Hollywood où les casques bleus ici héros se révoltaient face aux leaders serbes (dont Mladic) et parvenaient à les éliminer. Une situation véritablement paradoxale face à la réalité et ma naïveté d’alors, depuis rétablie avec cette horreur susmentionnée, me ferait presque pitié.
Puis et c’est ce qui fait mal envers les casques bleus qui par un protocole rappelant presque l’Apartheid vont être les complices malgré eux de ce génocide. Et finalement par les auteurs de cette barbarie (la séquence est uniquement audible mais l’avant-dernière scène fait froid dans le dos et attise cette haine).
Que de la haine? Justement pas : certaines séquences sur la première demi-heure au sein de notre famille détendent et surtout la dernière scène est un véritable hymne à la vie et à l’avenir et réchauffe les cœurs endurcis en rappelant qu’il peut y avoir une espérance de vie.
Magistralement filmé, interprétation de Jasna Djuribic incroyable, surtout sur le dernier tiers, cette expérience va vous marquer au plus profond.
Chef-d’œuvre à recommander vivement… Voir plus
Dernière modification il y a 3 ans
“Cri de guerre”
En 1995, la guerre règne en Yougoslavie. Aïda joue les interprètes à Srebenica, déclarée « zone de sécurité » par l’ONU. Il faut faire vite, car les Serbes sont aux portes de la cité.
Elle court, elle court, Aïda. Chargée de comprendre et traduire les mots du commandant néerlandais, la professeure d’anglais sent bien que, malgré l’ultimatum lancé par les Nations Unies, la menace gronde. Les loups sont entrés dans la ville, assoiffés de vengeance et les crocs acérés. Il faut évacuer la population bosniaque et protéger avant tout sa famille au prix de choix terrifiants et de sacrifices. Ce sont des milliers de civils qui trouvent refuge dans l’usine servant de base aux Hollandais, alors qu’ils sont le double, voire le triple derrière les grillages à supplier d’entrer.
Le film ne met guère longtemps à nous étreindre avec force. Dans la foulée de l’héroïne, la caméra instaure un rythme haletant. La situation est critique. Les images rappellent les grandes douleurs de l’histoire : rafle des Juifs, génocide rwandais, crises migratoires. Les camarades, élèves et voisins d’hier sont aujourd’hui ennemis. Peloton d’exécution pour les hommes et viols probables pour les femmes. L’incapacité criminelle des Casques bleus, gamins en shorts inexpérimentés, est révoltante. Dans cet enfer suffocant, rares sont les respirations : une naissance, un joint partagé, une soirée festive extraite d’un temps révolu. La réalisatrice bosnienne s’arrête souvent sur les visages figés comme pour souligner que la mort de plus de 8000 personnes n’est pas qu’une statistique, mais une véritable tragédie. Malgré les images finales de résilience réunissant opposants et rescapés, Srebenica sera à jamais rattachée au mot massacre.
(7.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 3 ans
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