Soul of a Beast Suisse 2020 – 110min.
Critique du film
Sans toi, tout est vide
Pour son deuxième long-métrage, le cinéaste suisse Lorenz Merz suit les errances sauvages et sans retour d’un jeune père. Entre poids des responsabilités et liberté juvénile, Merz propose avant tout une expérience sensorielle, dérivant progressivement vers le surréalisme.
Chaque nouveau jour est un exercice d’équilibriste pour Gabriel (Pablo Caprez), jeune père de 17 ans. D’une part, il doit subvenir aux besoins de son fils Jamie (Art Bllaca) avec lequel il vit encore dans l’appartement de sa mère, quelque part à la Langstrasse de Zurich. D’autre part, le jeune homme désire ardemment s’abandonner au moment présent et profiter de la vie aux côtés de son meilleur ami Joel (Tonatiuh Radzi). Un soir, alors qu’il sort faire la fête et confie – sans doute n’est-ce pas la première fois – le babyphone à une prostituée (Anastasija Fomina), il fait la connaissance de Corey (Ella Rumpf), la petite amie de Joel. Gabriel tombe immédiatement sous le charme de la jeune femme.
Sous l’influence de la mescaline, le trio pénètre alors dans le zoo de la ville et en vient à libérer quelques animaux qui commencent à errer dans la région. Ce malencontreux événement met la municipalité en état d’alerte et plonge les rues zurichoises dans un violent chaos. Pendant ce temps, Gabriel est, lui aussi, gagné par la confusion : tiraillé entre son amour soudain pour Corey, sa loyauté envers Joel et ses devoirs envers Jamie. Son petit monde fragile est sur le point de s’écrouler.
S’inspirant de ses propres expériences, notamment en ce qui concerne la paternité précoce, le réalisateur et scénariste Lorenz Merz conçoit un film qui joue en permanence avec les frontières des genres cinématographiques. Soul of a Beast concilie drame social, romance, récit initiatique, visions apocalyptiques et horrifiques… Le résultat est aussi frénétique qu’il y paraît. Dès l’ouverture, on trouve dans les images une force brute, une énergie débridée que l’on doit, la plupart du temps, à l’agile caméra à l’épaule qui se faufile partout pour capter les émotions au plus près des personnages. Des gouttes de sueur aux moindres mouvements, rien ne passe inaperçu.
L’un des points culminants de cette mise en scène enivrante place l’audience du point de vue des protagonistes encore sous l’effet de la drogue. Une scène surréaliste, jouant avec le flou et accompagnée de sons déformés, qui donne un aperçu du déferlement de folie de la deuxième moitié du long-métrage. Plus le film avance, plus le fantasme et la réalité semblent se confondre. Les rues de Zurich sont-elles vraiment en proie à l’anarchie, ou les tumultes ne sont-ils que le reflet de l’esprit tourmenté de Gabriel? Quoi qu'il en soit, la libération des animaux n’est pas à considérer uniquement comme un élément narratif, mais aussi comme le déchaînement symbolique de la bestialité du protagoniste.
Soutenu par le fracas d’un fond musical intense, le dernier tiers laisse la part belle à la passion et aux instincts dans une explosion de sentiments parfois effrayante. Le jeu de toute la distribution s’adapte à l’intensité croissante de l’intrigue et donne lieu à quelques moments forts en émotions, notamment lors d’un face-à-face entre les deux électrons libres Gabriel et Zoé (Luna Wedler), la mère de Jamie.
Lorenz Merz réussit un film indéniablement captivant et imprévisible, aux images puissantes, mais arborant tout de même quelques menus défauts. L’action est parfois trop étirée et les intermèdes d’un narrateur japonais, dont les commentaires sont censés apporter une touche philosophique aux expériences de Gabriel, paraissent un peu prétentieux. Un artifice dont Soul of a Beast n’avait pas besoin, tant sa puissance évocatrice parle d’elle-même.
(Un texte initialement publié en allemand et librement traduit par Damien Brodard.)
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