CH.FILM

Who's afraid of Alice Miller? Suisse 2020 – 101min.

Critique du film

Notions élémentaires de cordonnerie

Lino Cassinat
Critique du film: Lino Cassinat

Penseuse de la psychanalyse et de la psychologie de renommée mondiale extrêmement impliquée dans la lutte contre les violences infantiles, Alice Miller fait figure d’autorité dans le monde intellectuel. Pour autant, derrière la personne médiatique se cache une toute autre facette bien plus sombre, que le réalisateur Daniel Howald est allé chercher en compagnie du fils d’Alice Miller, Martin. Condensé de la substance qu’il a tiré de cette recherche, Who’s afraid of Alice Miller? est un portrait-voyage aussi salvateur que sidérant.

Martin Miller est le fils de feue Alice Miller, psychanalyste de renom responsable d’avancées majeures sur la compréhension de la psychologie des enfants et dans le combat contre la maltraitance des enfants. On pourrait croire que son enfance a été idéale, mais loin de là: lui-même a été un enfant battu par son père et harcelé psychologiquement par ses deux parents. À plus de 60 ans, il entreprend un voyage et part à la rencontre des proches de sa mère pour comprendre. Un voyage qui le mènera jusqu’aux heures les plus sombres du 20ᵉ siècle.

La première interview d’Alice Miller revisitée par le film la montre dans une réflexion froide mais empathique, menant froidement mais avec conviction le combat de sa vie. La chaleur semble n’avoir certes jamais été une marque de fabrique. Vient alors une première lettre écrite par elle à son fils, et les mots soufflent alors comme un blizzard polaire, emportant le spectateur dans un tourment sépulcral. Il ne faut pas plus de cinq minutes à Who’s Afraid of Alice Miller? pour nous plonger au cœur d’une contradiction passionnante doublée d’un voyage initiatique bouleversant, entre exorcisme intime et chasse aux fantômes de l’Histoire.

Prolongement du travail d’Alice Miller elle-même, Who’s Afraid of Alice Miller? ne fait pas dans l’iconoclasme bête ni dans le portrait larmoyant à scandale, même s’il cède parfois à une forme un peu sensationnelle, mais place bien au centre de sa réflexion le phénomène de contamination de la violence, poison héréditaire contre lequel s’est battue Alice Miller en place publique mais qu’elle a elle-même répandu dans sa sphère intime. Les cordonniers sont les plus mal chaussés, et la lourdeur des sabots que son fils semble traîner avec sa démarche appesantie d’ours mal léché pèse également sur l’âme d’un spectateur également en quête des racines du mal, qui sont toujours les mêmes, mais qui accablent toujours autant, de 1940 à 2020. Les péchés des parents ne sont pas ceux des enfants, mais ils en sont les boulets, et si Who’s Afraid of Alice Miller? ne pourra pas les détacher, peut-être parviendra-t-il à transmettre quelques moyens pour alléger la charge.

05.11.2020

3.5

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