Belle Japon 2021 – 122min.
Critique du film
Un Cocteau 5.0
Au Festival du film de Locarno, les jeunes spectateurs ont une place de choix : en plus du Préfestival dédié aux familles, diverses activités et ateliers sur le thème du cinéma leur sont proposés ainsi qu’une série de projections dans la section Locarno Kids. Au programme, des œuvres restaurées côtoient d’autres productions plus récentes, dont certaines montrées en avant-première. C’est dans ce contexte qu’a été décerné le premier Locarno Kids Award au réalisateur japonais Mamoru Hosoda pour son dernier film Belle, projeté en avant-première.
Le film relate la vie de Suzu, adolescente solitaire orpheline de mère dans la vraie vie qui, une fois dans le monde virtuel ultraconnecté de U, réseau aux 5 milliards d’utilisateurs, se transforme en Belle, chanteuse populaire à la longue chevelure rose.
La publicité pour l’application U qui, un jour, surgit sur l’écran du smartphone de Suzu, promet à ses utilisateurs d’être une meilleure version d’eux-mêmes, de vivre une autre vie et de changer le monde grâce à une expérience de partage corporel. En 2019, une section spéciale dédiée aux films en réalité virtuelle avait été créée au Festival du film de Locarno. L’une des expériences proposées consistait en une sorte d’échange corporel hyperréaliste tout à fait bluffant : équipées de lunettes de réalité virtuelle, placées face à face, deux personnes suivaient des instructions afin de produire exactement les mêmes gestes, en miroir. Le dispositif donnait ainsi l’impression d’être dans le corps de l’autre, pour culminer sur une poignée de main échangée avec… soi-même. De ce point de vue, le concept de « partage corporel » mis en avant par U, pas si lointain, paraît tout à fait plausible.
Le film, dont les images naviguent entre la beauté de la province où vivent Suzu et son père et l’espace cybernétique visuellement époustouflant de U où Belle, son avatar, fait son entrée juchée sur le dos d’une baleine à bosse bardée de haut-parleurs, aurait très bien pu se limiter à dénoncer les dérives des réseaux sociaux et de l’hyperconnectivité : après tout, le terme hikikomori, qui désigne des personnes, le plus souvent jeunes, restant cloîtrées chez elles des semaines, voire des mois, ne vient-il pas du Japon ? Mais Mamoru Hosoda a à cœur de donner de l’espoir à sa jeune audience, de lui montrer qu’il est possible de choisir et, plus encore, changer son futur. Alors que la popularité des utilisateurs de U se mesure à leur nombre de « followers », c’est en bravant l’ultime danger que Suzu arrivera à se dépasser : celui de laisser tomber l’avatar de Belle pour dévoiler son vrai moi, dans toute son imparfaite humanité.
« Les superstars ont toutes une face cachée, et on est toujours déçu quand on la découvre », déclare une amie de belle. Dans son cas, c’est le contraire qui se produit : perspicace et obstinée, son courage lui permettra de découvrir – et finalement de sauver – celui qui se cache derrière le personnage mystérieux et mal-aimé de La Bête, l’occasion pour le réalisateur de réinterpréter les scènes les plus iconiques du film de Cocteau (et de tous ceux qui ont suivi) en version 5.0. Même dans le monde virtuel, le soutien d’une communauté peut s’avérer salutaire. En aidant un autre, en se dépassant, c’est soi-même que l’on aide ; tel pourrait être le message du film. Parfois surnommé «le nouveau Miyazaki», Mamoru Hosada devrait sans peine parvenir à rassembler toutes les générations devant le même écran.
(Critique dans le cadre du 74e Festival du film de Locarno.)
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Commentaires
“Pacific princess”
U est une communauté virtuelle réunissant plus de 5 milliards d’adhérents à travers le monde. Orpheline de mère, Suzu, lycéenne réservée, y devient Belle, chanteuse idolâtrée. Mais Dragon, un avatar brutal et mystérieux, perturbe son succès.
L’idée de pouvoir être quelqu’un d’autre ou simplement soi sur Internet, au-delà des convenances du quotidien, n’est pas nouvelle. Cinéma et séries s’en sont emparés. Quant au monde proposé par Hosoda, malgré ses petits points de couleur et ses baleines volantes, il ne fait guère preuve d’une grande imagination. Maquillage criard, robes longues et paillettes caractérisent une Belle 2.0 toute de rose vêtue qui se cherche entre Barbie et la princesse Disney. L’hommage est explicitement rendu à l’oncle Walt quand l’héroïne se rend dans le château de la bête. Les chansons censées ravir des millions de followers ne convainquent pas non plus. La voix japonaise se distingue, certes, mais les mélodies ne se retiennent aucunement et les paroles traduites touchent à la mièvrerie.
C’est quand il décrit et dessine le « réel » que le réalisateur devient meilleur. On se raccroche à des détails qui n’ont l’air de rien, mais titillent l’émotion : l’essor subtil d’un nuage dans le ciel, la patte amputée d’un chien fidèle, une déclaration rougissante, un bras que l’on retient. Malgré des membres surdimensionnés, ses humains demeurent plaisants. Si leurs pleurnicheries agacent, leurs maladresses appellent à l’empathie. D’autant plus que les situations qu’ils affrontent sont graves, voire violentes. En dépit de ces louables efforts, Hosoda n’égale pas encore la rondeur, la poésie et l’inventivité du grand maître Miyazaki.
(5.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 2 ans
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