CH.FILM

Hive Albanie, Suisse 2021 – 84min.

Critique du film

Quand rentreras-tu à la ruche ?

Critique du film: Eleo Billet

Multirécompensée au festival de Sundance 2021, cette coproduction suisso-albano-kosovare et macédonienne est le premier long-métrage de la réalisatrice Blerta Basholli. Également au scénario, elle relate la douleur des veuves et mères de son pays, qui attendent le retour de leurs proches après la guerre du Kosovo.

Fahrije (Yllka Gashi) élève seule ses deux enfants et s’occupe de son beau-père malgré son maigre revenu. Depuis des années, elle recherche son mari, disparu lors du massacre perpétré dans son village, Krusha e Madhe, durant la guerre du Kosovo. En quête d’indépendance et pour éloigner de douloureux souvenirs, elle obtient son permis et se lance dans le commerce d’ajvar. Seulement, l’obstination de cette apicultrice va aussi bien déplaire aux plus conservateurs que pousser d’autres veuves à s’affirmer.

Au centre de Hive, le destin d’une femme, inspiré de la vie de Fahrije Hoti, une albanaise qui a durement gagné son autonomie, lancé sa propre entreprise, puis employé les veuves de son entourage. Grâce à ce postulat et son genre mi-biographique mi-fictionnel, le film offre de suivre les déboires de la protagoniste tout en les insérant dans un contexte historique plus large. L’œuvre reste un drame conventionnel dont les retournements sont attendus : chaque petite victoire, de l’achat d’une voiture au conditionnement des marchandises faites maison, est suivie par une réponse violente des réfractaires. Certaines séquences, plus cauchemardesques ou au contraire euphoriques, témoignent des ambitions stylistiques de la réalisatrice. Et le style de Blerta Basholli permet de mettre en lumière l’une des plaies du Kosovo. En effet, le deuil national et personnel est rendu impossible par l’absence des corps à enterrer et de volonté politique à les retrouver.

Lorsque Fahrije apparaît au milieu de sacs mortuaires, prête à tous les ouvrir si cela pouvait lui ramener l’être aimé, sa volonté paraît sans faille. Étouffée par les responsabilités, elle les assume toutes, non seulement en tant que pilier de sa famille, mais aussi vis-à-vis des femmes de l’association des veuves de son village, en manque de soutien émotionnel et financier. La combativité de cette travailleuse devient alors communicative et sa douleur, universelle, en temps de conflit. Par sa simplicité, le symbolisme du film est également réussi : du miel doucereux, qui pousse à la complaisance malgré la brûlure des dards, l’héroïne passe à la production d’ajvar, condiment à base de piment, et se détache ainsi de l’héritage de son mari. D’autant que l’interprétation toute en retenue d’Yllka Gashi la place sur une corde raide, entre désespoir et révolution, dont elle ne chute jamais.

Avec Hive, Blerta Basholli signe une œuvre où les instants d’intense solitude et de mort succèdent à une entraide féminine bienvenue. Bien que peu développés, les personnages secondaires apportent tous un regard nuancé sur la place que les femmes se battent pour occuper. Mais cette solidarité, qui s’affirme progressivement dans l’ombre du patriarcat ou en pleine lumière, sous les jets de pierre, aurait gagné en puissance si la réalisatrice lui avait accordé plus de place. D’autant qu’il manque des représentations des féminismes qui ne soient pas issus de l’Europe de l’Ouest. Pourtant, bien que Hive ne s’élève pas au-delà de son statut de petite histoire dans la grande, la maîtrise que démontre déjà la metteuse en scène promet une belle suite de carrière, dont Hive aura été une base classique et solide.

24.11.2022

3

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