Jane par Charlotte France 2021 – 90min.
Critique du film
L’artiste et mère, puis sa fille
Projet mijoté depuis plusieurs années, ce documentaire forcément personnel va au-delà du simple portrait d’une mère par sa fille.
Pour son premier film derrière la caméra, Charlotte Gainsbourg a choisi de filmer sa mère, Jane Birkin. Remontant le fil d’une existence jalonnée de personnages connus ou moins, à cheval entre deux cultures, les échanges sont autant d’occasions pour les deux femmes d’évoquer l’art, la mort, la vie, la famille. Le spectateur, quant à lui, y croisera nombre de figures familières, à commencer par Serge Gainsbourg bien entendu, mais aussi les autres hommes qui ont compté dans la vie de Jane : son père et ses deux autres maris.
Souvent présentée comme l’incarnation de la Parisienne, Charlotte Gainsbourg n’en reste pas moins un personnage discret, secret même. Demander à sa mère de se laisser filmer a donc dû lui demander une certaine dose de courage. Dès les premiers plans, le spectateur apprend que, contrairement à ses sœurs Kate et Lou, une sorte de pudeur, retenue certaine, a toujours existé entre la mère et sa fille. Mais que ces dehors, sous une apparente douceur, ne nous y trompent pas : en réalité, deux ans se sont écoulés entre les premières images et la reprise du tournage. Ayant au préalable griffonné une liste de questions, Charlotte avait commencé par interroger sa mère face caméra. Celle-ci s’était braquée, soupçonnant le film d’être prétexte à une mise au point.
En 1988 sortait Jane B. par Agnès V. : derrière la caméra, Agnès Varda mettait en scène une Birkin à la vie parfois romancée, souvent avec humour. Une série de tableaux montrait Jane incarner d’autres Janes (ou Jeannes) fameuses, de Jeanne d’Arc à la compagne de Tarzan, forçant la timide Anglaise à sortir un peu de sa coquille. 34 ans plus tard, les enfants ont grandi, sont devenus parents à leur tour : entre la mère et la fille, la caméra, vraie aubaine pour Charlotte, ouvre l’espace à des questionnements intimes, des échanges d’expériences et parfois des remords, quand Jane déclare avoir été trop prise par sa propre souffrance pour remarquer celle des autres, notamment sa première fille Kate, décédée en 2013.
Entrecoupé d’anciennes images de familles tournées en Super 8, le film met en avant la notion de tribu chère aux deux femmes : « Combien sommes-nous ? », demande Jane devant l’étal d’un poissonnier en Bretagne, prévoyant de cuisiner pour toute l’équipe du film. Exposer le processus filmique en parlant bande son et droits d’auteur avec son équipe (« mettons du Bach, comme ça personne ne nous dira rien », déclare Charlotte), en décrivant l’ajustement d’un micro lors d’une scène tournée avec sa propre fille, est aussi une façon pour la réalisatrice de reconnaître le travail des autres.
Jane par Charlotte, c’est aussi un film de réflexion, autant pensée que reflet : celui de sa propre image, celle que le public renvoie à une artiste, mais aussi celle qui se reflète dans les miroirs, que Jane a décrochés une fois atteint un certain âge. La réflexion, c’est ce que nous renvoient les autres sur notre propre existence : en fixer un petit instant sur la pellicule nous donne l’impression de pouvoir capturer le présent, concept également cher à Varda. Si certaines anecdotes, appartenant aux deux femmes, peuvent présenter un intérêt limité pour le spectateur, la plongée dans leur univers aux souvenirs partagés, mais souvent différents lève le voile sur une intimité jusque-là peu connue du grand public.
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Commentaires
“Face à la mère”
Charlotte Gainsbourg prend pour la première fois la caméra et filme Jane Birkin. Plutôt que de mythifier l’ex fan des sixties, c’est surtout une manière d’oser questionner sa mère et de s’en rapprocher.
Ce qui frappe entre ces deux icônes internationales qui se sont exposées sur scène et sur écran, c’est la pudeur immense qu’elles affichent l’une face à l’autre. Leur voix fluette peine à émettre les mots, craignant de froisser ou de dépasser une limite indéfinissable. Les regards se font timides, fuyants, mouillés, mais admiratifs aussi.
Au Japon, à New-York, en Bretagne ou au 5 bis rue de Verneuil, elles dévoilent un peu de leur intimité. Rien de licencieux néanmoins, de l’anecdotique souvent, évitant au spectateur discret un sentiment voyeuriste. Les fantômes du père et de la fille aînée disparue les hantent, noirs ou blancs comme les souvenirs. Doutes et peurs les assaillent en tant qu’actrices ou chanteuses, femmes et mères : « Comment supporter de mettre au monde des êtres qui vont mourir ? », s’interroge Jane.
La forme séduit moins que leurs échanges : image floue et tremblotante, effets « arty » superflus. Tel un making of, on garde les plans préparatoires peu utiles, comme pour gagner en spontanéité. L’album de famille n’en est pas moins touchant quand il devient déclaration d’amour. Jane et Charlotte ne sont jamais aussi attachantes que quand elles sont dans le cadre, ensemble.
(6.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 2 ans
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