Les guérisseurs Suisse 2021 – 80min.
Critique du film
Blouse blanche ou tambourin, le but reste d’aider l’humain
Projeté en compétition nationale au festival Visions du Réel à Nyon en 2021, Les guérisseurs, premier long-métrage de la réalisatrice Marie-Eve Hildbrand, dresse un portrait sensible et raisonné de la médecine aujourd’hui, entre ce que signifie être soignant et être soigné.
À l’aube de la retraite, Francis Hildbrand, médecin généraliste et père de la réalisatrice, enchaîne les consultations : tour à tour psychologue, prescripteur ou confident, il partage temps et attention entre ses patients, allant du nouveau-né à l'arrière-grand-mère, sans parvenir à trouver de successeur. Alors que l’un part, les autres arrivent : en parallèle, le film suit le parcours d’étudiants en médecine, et en particulier celui de Lorena, jeune femme positive, mais non dépourvue de doutes. Offrant une réflexion globale sur la mise en œuvre du verbe « soigner », insistant sur l’importance du lien entre patient et praticien, Les guérisseurs propose également un rapprochement entre médecine allopathique et alternative, qui, sans prétendre prendre la place l’une de l’autre, peuvent être complémentaires.
« On n’existe que grâce aux autres ; seul, on meurt. » : c’est sur cette phrase en voix off que s’ouvre le film. À l’écran, une forme blanche et floue, aux contours changeants, remue dans une hypothétique boîte de pétri : est-ce le « timelapse » d’une bactérie en train de se démultiplier ? Il s’agit en fait de la silhouette d’un homme gesticulant, film expérimental de quelques secondes tourné aux États-Unis en 1890 pour tester le format cylindrique du kinétoscope, cinq ans avant les frères Lumières. Hommage aux origines du cinéma et mystère aux contours insaisissable, « Monkeyshines n°1 », nom de l’essai, suggère aussi que fixer un sujet sur la pellicule ne permet pas d’en comprendre l’entier des détails, postulat que l’on retrouve tout au long du film qui, de questions soulevées en pistes suggérées, n’impose rien comme évidence.
Mais pourquoi soigne-t-on ? Cette question, autant débattue parmi les jeunes étudiants qu’illustrée par le généraliste, met au centre l’empathie, le courant qui permet d’activer le lien entre deux personnes. « Les guérisseurs », c’est aussi un film de l’attention : celle qui, intellectuelle, permet à l’étudiante d’assimiler d’innombrables quantités de textes, gestes et connaissances techniques. Mais l’attention, c’est également l’importance portée à l’autre : dans le film, cela se traduit par des plans souvent rapprochés qui, passant ensuite aux gros plans sur les visages, s’arrêtent sur l’intensité d’un regard concentré, entièrement porté sur l’autre, ses paroles, ses gestes, dans l’espoir d’en découvrir le plus possible derrière ce qu’il dit – ou ce qu’il tait – pour apporter le bon geste, poser le bon diagnostic.
Alors que le titre « Les guérisseurs » pourrait laisser croire à un sujet de médecine alternative, il n’en est rien : la force du film réside dans les multiples facettes sous lesquelles est exposé l’exercice de la médecine et dans l’absence de tout jugement de valeur. Ainsi, lorsqu’une Lorena stressée par ses études va consulter une guérisseuse, l’écoute et le soutien qu’elle reçoit ne sont en rien rabaissés vis-à-vis des solutions allopathiques. En Chine, raconte un étudiant, un robot a passé brillamment son examen de médecine : est-ce pour autant que, demain, les humains seront soignés par des machines ? Rien n’est moins sûr, à voir les réponses parfois farfelues du robot face à une représentante des autorités. Aujourd’hui comme demain, le facteur humain, indispensable, n’est pas encore remplaçable.
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Commentaires
“Quoi de neuf docteurs ?”
Le Dr. Hildbrand va bientôt partir en retraite. L’occasion pour sa fille de s’interroger sur l’évolution des pratiques en quarante ans.
Comme un enfant déballant ses cadeaux de Noël avant l’heure, les carabins découvrent leur premier stéthoscope avec une joie et une candeur non dissimulées : « J’ai choisi le bleu et toi ? » Sans oublier le selfie pour immortaliser leur première chemise blanche. Des goûts et des couleurs qui teinteront un long parcours parsemé d’apprentissage, d’espoirs et de doutes. Il leur faudra se confronter au stress des examens, aux états d’âme du patient, à la responsabilité du diagnostic, au corps de l’autre, à la mort. Ces séquences plaisent et évoquent les films de Thomas Lilti. Une jeunesse prête à adopter les technologies nouvelles qui contraste avec ce généraliste sur le point de raccrocher sa blouse. Sa machinerie est certes désuète, mais sa bienveillance chaleureuse rassure contrairement aux robots programmés à le remplacer.
Sur le mode de l’observation, ce documentaire brasse beaucoup de sujets et suscite de nombreuses interrogations : Pourquoi est-il si difficile de remettre un cabinet ? L’empathie est-elle innée ou acquise ? Peut-on croire en Dieu quand on est médecin ? La dissection est-elle éthique ? Les thérapies complémentaires, parallèles ou alternatives sont-elles efficaces ? L’intelligence artificielle est-elle un bienfait pour l’humanité ? Un survol général disposé à ouvrir le débat.
L’approche de Marie-Eve Hildbrand est plus personnelle avec cet hommage rendu à son propre père salué lors d’une verrée réunissant d’anciens patients. La santé, moteur primordial, demeure un sujet passionnant et d’autant plus émotionnel lorsqu’il fait écho à du vécu. En cas de maladie ou d’accident, le soignant devient un acteur-partenaire incontournable auquel il convient de se remettre. Au fil du temps, un diplôme ou une plaque décrochée du mur laissera une marque indélébile.
(7/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 3 ans
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