El agua France, Espagne, Suisse 2022 – 100min.
Critique du film
Une œuvre magnifique où cohabitent trois générations de femmes
Présenté à la prestigieuse Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, le premier long-métrage d’Elena López Riera, cinéaste d’origine espagnole, se présente comme une œuvre magnifique sur les liens familiaux et la cohabitation de trois générations de femmes. Tout à la fois histoire d’amour, récit fantastique et réflexion sur la puissance magique de la parole, El Agua s’affiche comme un film aussi puissant que les sonorités techno qui le concluent, nouveau chant liturgique d’une génération conteuse du récit qu’elle décide de faire d’elle-même.
Ana, une adolescente, grandit avec sa mère et sa grand-maman dans le sud de l’Espagne, à Orihuela, un village très sec situé dans la région d’Alicante. Durant l’été, alors que le soleil pointe à son zénith et que les baisers se perdent, Ana rencontre José, un jeune homme dont elle tombe amoureuse. Si l’idylle, à l’image de ce soleil brûlant, semble promis à un avenir radieux, une tempête menace de bousculer l’ordre des choses. D’un côté, son éclatement ferait éclater la rivière qui traverse Orihuela. De l’autre, l’abondance de sa pluie risquerait de refroidir l’ardeur des amants.
Dès la scène d’ouverture, El Agua fait exister la dimension fantastique qui l’innerve, le caractérise dans ce qu’il a de plus singulier : au milieu des rires juvéniles et de la légèreté estivale, un groupe d’amis mentionne la légende de l’eau, une ancienne croyance de la région qui affirment que certaines femmes sont maudites, prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation. La situation de départ, simple en apparence, exhibe avec subtilité le moteur du film, sa clé interprétative : les mythes ne préexistent pas aux discours, au contraire, c’est la parole qui les fait exister, leur donne une forme. C’est la parole qui reconfigure le réel en espace mythique.
Par conséquent, si le réel est fantastique, il l’est toujours en lui-même ; couche invisible que les mots – et eux seuls – dévoilent. Ainsi, l’importance accordée au dispositif testimoniale : régulièrement, le récit fictionnel s’interrompt pour laisser des femmes témoigner devant l’objectif, les yeux rivés sur la caméra, et ainsi raconter chacune leur version de la légende. L’opération, en plus de brouiller considérablement la frontière qui sépare le documentaire de la fiction, convoque le spectateur dans cette zone grise, indistincte, où la nature de l’image devient subitement indécidable, le poussant sans cesse à l’interrogation : l’image perçue appartient-elle au réel ou à la fiction ? D’autant plus lorsque la légende devient réalité pour Ana qui commence de puissamment la croire.
Ainsi fonctionne la croyance : c’est uniquement à partir du moment où Ana accepte de la croire qu’elle altère sa perception du réel, pire, que le mythe s’inscrit littéralement sur son corps. Tatouée d’un scorpion, celui de la fable d’avec la grenouille, Ana porte à même la peau le poids écrasant des mythes (en plus de subir le poids du regard des autres villageois, estimant sa famille maudite, donc, le raccourci est vite pris, infréquentable). Dès lors, plus d’autres choix pour Ana : c’est son histoire qu’elle va devoir affronter. Mais Ana est forte. Non, plus juste, Ana est prête. Et, comme toutes ces femmes avant elle (d’où cette phrase significative qu’elle prononce en fin de film : «Je suis ma mère, je suis ma grand-mère, je suis cette femme »), c’est par un regard de feu à la caméra que s’exprime sa vitalité.
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