La réalisatrice Claire Simon porte à l’écran les confidences du dernier compagnon de Marguerite Duras au micro de la journaliste Michèle Manceaux. En 1982 et deux jours durant, Yann Andréa s’épanche sur les travers de cet amour total et destructeur.

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Jeune étudiant en philosophie à Caen, Yann Andréa est tombé éperdument amoureux du style de Marguerite Duras. Il lui écrit une lettre après avoir lu «Les Petits Chevaux de Tarquinia» en 1974. Il l’idolâtre, l’adule, au point de faire abstraction de tout le reste. S’ensuivent des années d’une correspondance épistolaire platonique, jusqu’au jour où ils se rencontrent à Trouville-sur-Mer, dans le domicile de l’écrivaine. Pour elle, il a tout quitté.

Après Gare Du Nord (2013) ou encore Le Fils de l'épicière, le Maire, le Village et le Monde (2021), la réalisatrice Claire Simon emprunte au documentaire et à la fiction; Vous ne désirez que moi révèle l’entretien fleuve entre Yann Andréa (1952-2014) et la journaliste Michèle Manceaux (1933-2015) qui, en 1982 se rencontrent deux jours durant. À peine 30 ans, le ton grave et la mine brisée, Yann étale cet «amour total». Des enregistrements qui ne seront publiés qu’en 2016 à titre posthume. Claire Simon propose un dispositif épuré et une sobriété bienvenue pour écouter cet être démolit.

La caméra les observe, et Swann Arlaud s’épanche de sa voix chaude sur cette rencontre et les années de vie commune, son rapport de «fascination», d’«admiration» et de «soumission» avec celle qui entend «décréer» pour mieux «créer». Le mot clé, c’est « encore ! » dit-il. À l’orée d’une énième Lucky Strike, l’acteur fait preuve d’une diction à fleur de peau et accouche péniblement de son enfer «durassien». Ainsi, les mouvements de caméra jalonnent les confidences vertigineuses et écoutent minutieusement les quelques apartés d’Emmanuelle Devos. À demi-mots, le duo révèle un jeu sensible.

Le film nous conte une autre Duras, celle qui, physiquement et mentalement, absorbe son jeune amant. Il le dira lui-même, il y avait «Duras», et puis «tout d’un coup, la femme». Et d’être obnubilé par les deux, l’ex-étudiant en philosophie s’y perd, impuissant. Paradoxe de cet amour unique et toxique, c’est aux côtés de Marguerite Duras qu’il avouera avoir commencé sa vie. Ainsi, l’auteure d’«India Song» a réécrit son compagnon et réprime jusqu’à son identité et ses désirs homosexuels. En témoigne une image d’archive sur le tournage de «L’Homme atlantique» (1981), Yann Andréa n’est plus qu’une âme à la merci. Vous ne désirez que moi s’offre un titre programmatique pour illustrer l’emprise d’un corps sur un autre.

Dans l’antre de Duras à Neauphles-le-Château (Yvelines), dans ce beau grenier qui les accueille, l’Aveu répond à l’Écoute et l’auteure d’«Un barrage contre le Pacifique» se dévoile à revers. Duras règne d’une présence fantomatique. Claire Simon la fait revivre brièvement, de dos et dans un coin du cadre, et à l’autre bout de ce téléphone qui ne cesse de sonner. Parabole sur la complexité des relations humaines, Vous ne désirez que moi couvre un champ de réflexions vertigineux. Et Swann Arlaud d’y révéler une prestation intime et puissante.