Sophie Lavaud - Le dernier sommet France 2023 – 87min.

Critique du film

La montagne, lieu d’expérience ou de spectacle?

Critique du film: Kevin Pereira

Le Nanga Parbat, symptomatiquement surnommé «La montagne tueuse» à cause de ses pentes intensément escarpées, est le dernier sommet qu’il manque à Sophie Lavaud pour accomplir son tour des quatorze sommets himalayens, dont les crêtes culminent à plus de 8000 mètres. L’exploit est de taille, d’autant plus qu’il fait face à l’histoire de l’himalayisme: en réussissant cette ultime ascension, l’alpiniste franco-suisse deviendrait la première française à boucler ce grand chelem. Grandes, les attentes battent pourtant en brèche à cause d’un scénario qui cède à l’idéologie néolibérale du dépassement de soi.

À 54 ans, Sophie Lavaud se lance dans la dernière ascension d’un ambitieux projet himalayen débuté en 2012 avec l’escalade du Shishapangma tibétain, dont la cime dépasse les 8000 mètres d’altitude. En juin 2023, elle part à l’assaut du Nanga Parbat, la neuvième plus haute montagne du monde, en acceptant d’être suivie par la caméra du guide de haute montagne et réalisateur, François Damilano. Sophie Lavaud parviendra-t-elle à honorer ce rendez-vous avec l’Histoire?

Pourquoi l’être humain rêve-t-il de fouler le sommet d’une montagne, quitte à le payer de sa vie? Cette question métaphysique, le cinéma contemporain se l’est beaucoup posée. Que l’on pense à Patrick Imbert, dont la mise en scène inspirée faisait du Sommet des dieux une magnifique œuvre sur le vertige. Ou que l’on se souvienne d’Everest, ce drôle de blockbuster présenté en ouverture de la 72ᵉ Mostra où les expérimentations en 3D offraient quelques visions inspirées pour rendre compte du gigantisme des parois rocheuses. Ou, plus récemment encore, au documentaire Free Solo où la philosophie existentialiste d’Alex Honnold, petit génie de l’escalade, éblouissait tout autant que ses prouesses sportives.

Malgré l’hybridité de leur dispositif – l’un explore les potentialités de l’animation, un autre s’inscrit frontalement dans le cinéma à très gros budget, un troisième creuse le sillon impressionniste du cinéma documentaire –, toutes ces propositions paraissent repenser le rapport profond qui reliait les humaines à ces manteaux neigeux et jalonnés d’embûches. C’est là le grand regret de ce Sophie Lavaud : le dernier sommet : jamais, le réalisateur ne se questionne sur les motivations qui poussent l’alpiniste à gravir ces immenses parois au péril de sa vie. Que fuit-elle? À quoi ressemble son quotidien? Qui est cette femme au-delà d’une alpiniste de talent? Le don de soi et son abnégation jusqu'au-boutiste relèvent-elles de stratégies intimes pour supporter un drame, un deuil ? Ou l’himalayisme ne vaudrait-il qu’en tant que performance sportive historique à valoriser en soi et pour elle-même ? On aurait aimé en savoir davantage.

D’autant plus qu’une sorte de fascination se dégage rapidement du dispositif filmique : en suivant de près Sophie Lavaud et son équipe de sherpas, le documentariste infléchit la nature même du geste de réalisation en l’orientant du côté de la performance sportive. Autrement dit, tourner s’apparente en tant que tel un véritable exploit, une action soumise aux mêmes contingences matérielles que l’himalayisme. Tributaire de conditions de réalisation identiques à celle de la quête des alpinistes, François Damilano fait de son cinéma une expérience littérale de vie et de mort. Mais là aussi, cette présence saugrenue de la technique dans ces cimes brumeuses n’est jamais problématisée, considérée au-delà d’un projet nombriliste particulièrement mis en lumière par une scène où le réalisateur reproche à Sophie Lavaud de se lancer à l’assaut du Nanga Parbat sans lui. Dès lors, les interrogations émergent: aux yeux de Damilano, l’exploit existe-t-il véritablement ou devient-il seulement un prétexte à transformer en narration inspirante, en hymne au spectacle visuel?

18.09.2024

2

Votre note

Commentaires

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement

alexcki

il y a 6 heures

Magnifique film ou l'on suit enfin l'ascension d'un des sommets de plus de 8000m dans sa totalité. On vit pas à pas la préparation, l'effort, les doutes et la détermination de Sophie Lavaud pour arriver au sommet du Nanga Parbat. Superbes images et une immersion totale dans le monde de la haute altitude. Un vrai plaisir tant pour les initiés que pour les amateurs qui veulent découvrir le monde fascinant de l'alpinisme.Voir plus


PierreL

il y a 10 heures

Il faut être vraiment blasé pour ne pas trouver cette aventure complètement exceptionnelle. Onze ans d'efforts, d'abnégation, exploit exceptionnel pour une personne qui n'était pas formée au départ à la haute montagne. Une épopée, une odyssée, un voyage d'Ulysse à lui tout seul. Des hautes, des bas, des difficultés et des risques innombrables et une volonté sans faille pour quelqu'un qui a su relever un immense défi tout en restant très humaine, sans devenir une bête de performance ou un produit marketing. Chapeau bas !Voir plus


Angelb0610

il y a 13 heures

Je ne pensais pas pouvoir ressentir des émotions si fortes en regardant un film documentaire sur la montagne. C'est pourtant le cas, et on se doit de féliciter Sophie Lavaud pour ce parcours atypique, mais aussi l'équipe du film qui réalise la double prouesse de gravir le sommet, caméra à l'épaule. Sophie Lavaud est "une énigme" comme le dit le réalisateur au début du film. Et on tente, derrière notre écran, de comprendre d'où vient la motivation de cette personne "lambda" pourtant loin d'être destinée à une telle carrière d'himalayiste. On finit par comprendre la philosophie de la protagoniste, très proche des membres des membres de son équipe et particulièrement du Sherpa qui l'accompagne depuis de nombreuses années: le projet s'inscrit dans une démarche de dépassement de soi plus que de performance; pas de course au record, pas de compétition. Pas d'esprit de rivalité mais au contraire une immense solidarité, comme en atteste cette scène où, réunit avec la norvégienne Kristin Arila (elle a gravi les 14 sommets de plus de 8000 en un temps record) au dernier camp d'altitude, elles n'ont qu'une motivation: atteindre le sommet du Nanga Parbat ensemble.
Ce film nous apprend beaucoup sur la très haute altitude, univers bien éloigné de nos quotidiens de citadins, où le rythme de la vie ralenti...Des images spectaculaires, une musique qui nous immerge un peu plus chaque minute dans ce monde hostile mais fascinant, bref un film que je recommande pour les amoureux de la haute montagne ou ceux qui souhaitent la découvrir autrement!Voir plus


Autres critiques de films

Beetlejuice Beetlejuice

Speak No Evil

Deadpool & Wolverine

Un p’tit truc en plus