Reise der Schatten Suisse 2024 – 87min.
Critique du film
Tandem dystopique aux confins du néant
Un couple de pantins lisses, une baudroie et un singe, évoluent dans leur quotidien, jusqu’à la disparition d’un des partenaires. Film sans paroles hautement conceptuel, «Reise der Schatten» tient du voyage dans un néant post-dystopique.
Premier long métrage du Suisse Alémanique Yves Netzhammer, «Reise der Schatten» relate le quotidien de deux personnages lisses, mannequins 3D sans visages, d’allure naïve et rudimentaire. Montés comme des personnages en bois articulés, le duo va à la piscine, s’engage dans des ébats sexuels, rend visite à un singe en cage et s’occupe d’une baudroie dans un aquarium. Un jour, l’un des personnages disparaît : commence alors pour celui qui reste un voyage dans une sorte d’anthropocène inversé, univers dystopique dans lequel «ce n’est plus l’humain qui doit être protégé de son environnement, mais l’environnement qui doit être préservé de l’homme».
Poussant la narration aux confins de l’abstraction, frisant l’improbable, le film propose un univers aseptisé, planant et parfaitement inclassable. Créé il y a plus de 20 ans, le logiciel utilisé, volontairement choisi par le vidéaste, est celui qu’il décrit comme le meilleur pour traduire sa pensée visuelle. Les membres, bras et jambes, tour à tour blessés, découpés ou dédoublés dans leur version d’ombre, donnent lieu à des blessures tout aussi modélisées, espèces d’amas de globules rouges qui, avec l’apparition furtive de langues et de mamelons sur des corps autrement lisses comme de la porcelaine, constituent l’une des furtives références à un état de matière humain.
En quête d’ailleurs indéfinis, le survivant embarque sur un paquebot qui finit par sombrer. Traversé d’ellipses visuelles, de vides et de questions sans réponses, le récit sonde distance et proximité entre les êtres et leur environnement. Décrivant sa méthode de travail comme «très intuitive», le cinéaste explique comme les personnages, privés de visage, de genre et de nom, ne peuvent compter que sur l’empathie de leur créateur, mais aussi de celle du spectateur. Or, c’est bien dans la l’(im)possibilité de ressentir quoi que ce soit pour des figures dénuées de toute individualité que réside l’un des nœuds du film : comment atteindre une profondeur émotionnelle devant un univers sans repères de ce qui fait les humains, humains?
Minimaliste, indéfinissable et quasi absurde : impossible de classer ce dispositif visuel difficilement accessible qui, s’il aurait davantage sa place dans un festival ou entre les murs d’un musée, mérite tout de même qu’on s’y intéresse, ne serait-ce que par pure curiosité, trait humain des plus élémentaires s’il en est.
(Festival international du film d'animation d'Annecy 2024)
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