Rendez-vous avec Pol Pot Cambodge, France, Qatar, Taïwan, Turquie 2024 – 112min.
Critique du film
Oppression et représentation
Prenant place après la prise de pouvoir des Khmers rouges au Cambodge, Rithy Panh réalise un ingénieux long-métrage dont les partis pris esthétiques sont une superbe matière à penser.
En 1978, trois journalistes français·e·s – Lise Delbo (Irène Jacob), Alain Cariou (Grégoire Colin) et Paul Thomas (Cyril Gueï) – sont invité·e·s par les dirigeants Cambodgiens à réaliser un reportage sur ce pays récemment sujet à un bouleversement politique total. Une forme de communisme radical y existe désormais. Alors, dès que nos reporter·ice·s posent pied sur le territoire-dit, iels prennent conscience que le régime autoritaire en place est bien loin d’accepter qu’on le représente sous un mauvais jour.
Le récit que nous conte Rendez-vous avec Pol Pot est très simple. Des journalistes fortement censurés se battent pour leur liberté d’expression. Face à elleux, des dirigeants prêts à tout pour les contraindre. Et tout va en mal en pis, d’une manière prévisible, sans essayer de nous surprendre. Or, le cours programmatique de cette narration n’est jamais un problème : l’intérêt du film ne réside pas tant dans ce qui est raconté, mais plutôt, dans la manière dont il l’est.
Rithy Panh déploie ici un ingénieux dispositif formel où se côtoient trois types de représentation différents. Des images «classiques» de fiction en prise de vue réelle; d’autres, qui représentent nos personnages sous forme de figurines; mais encore, des images documentaires, prises au moment des faits historiques. Le film jongle régulièrement et de plusieurs manières entre ces trois types de sources. C’est notamment le cas lors d’une des scènes les plus marquantes du long-métrage. Champ: le visage de Paul Thomas, choqué par ce qu’il voit. Contre-champ (nous révélant ce qu’il regarde) : le corps squelettique d’un enfant affamé, entre la vie et la mort. Ici, le champ est une image de fiction, le contrechamp, une source documentaire.
Le tour de force du long-métrage, c’est alors de faire entrer ces différentes sources en interaction sans que cela nuise à la crédibilité de l’univers façonné. Plutôt, les ruptures que leur mise en tension provoque nous invitent à penser. Dans un contexte socio-politique si houleux, quelle est la place de la représentation ? Comment parvenir à transmettre toute la violence de tels événements à des spectateur·ice·s extérieur·e·s à la situation, pour quels effets ? Quelle est la manière la plus efficace pour créer de l’adhésion, pour convaincre, sans pour autant manipuler ? Alors, le fait que le récit ne demande que peu d’attention pour être compris nous donne l’occasion, ce durant le film, de penser ces questions, de les faire vivre avant même que le long-métrage n’ait pris fin.
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