À couteaux tirés Etats-Unis 2019 – 130min.

Critique du film

Traité de narratologie à la découpe

Lino Cassinat
Critique du film: Lino Cassinat

C’est un cas particulièrement épineux que celui de Rian Johnson. Auteur et réalisateur du dernier épisode de Star Wars: Les derniers Jedi, il s’est mis dans la position ingrate de sortir un film plus personnel après un giga-blockbuster qui a douloureusement polarisé le public à cause d’audaces d’écriture déroutantes. Si vous faites partie de ceux-là, qui reprochent au réalisateur de faire le malin au lieu de raconter une histoire qui tient debout, À Couteaux Tirés ne sera certainement pas fait pour vous.

À Couteaux Tirés est un «whodunnit» dans sa plus pure forme: une riche famille, réunie pour célébrer une occasion particulière et dont les membres s’apprécient autant qu’ils se tirent la bourre. En toile de fond, un patriarche vieillissant mais encore propriétaire de son patrimoine, et dont les velléités testamentaires semblent instables. Celui-ci a la mauvaise idée de mourir pendant la nuit.

Suicide? Meurtre? Qui? Quoi? Comment? Pourquoi? Tous les mystères seront révélés par Daniel Craig (ou pas), qui a pour l’occasion décidé, on ne sait pourquoi, d’être un très mauvais acteur, incapable de cabotiner correctement ou d’emballer une blague. Pourtant il y arrivait très bien dans Logan Lucky.

Sauf que non, À Couteaux Tirés n’est pas un pur «whodunnit» , puisque après le premier tiers du film, Rian Johnson, en bon petit soldat post-moderne parfaitement conscient des conventions très rigides du genre dans lequel s’inscrit son film, se met à les retourner comme un gant et à mettre son propre film cul par-dessus tête - impossible d’expliquer en détail comment sans spoiler tout le «sel» de l’enquête. Un parti-pris ludique pensez-vous peut-être, puisqu’il s’agit de jouer avec des conventions inconsciemment admises par le metteur en scène et le public afin de tromper ses attentes.

Ce pourrait être le cas si la forme n’était pas aussi rigide, mais en réalité le premier twist d’À Couteaux Tirés est aussi inattendu que fatal au fun du film. Le métrage devient extrêmement programmatique et surtout profondément ennuyeux, car il fait éclater aux yeux du spectateur la vérité du projet de Rian Johnson: c’est n’est pas qu’un exercice de style, c’est avant tout un exercice tout court, dont chaque personnage et chaque rebondissement est pensé, structuré et plastifié en amont pour produire des effets logiques, mais jamais d’effets de sens (à part deux si convenus qu’ils tournent au truisme: les riches sont vaniteux et n’ont que des convictions d’apparence, à l’image du déprimant personnage de Katherine Langford, et les immigrés des gens beaucoup plus sympathiques).

En une phrase, l’essai théorique tue l’histoire. Le ludisme du film est instantanément pulvérisé par la conscience qu’il a de lui-même, et le jeu tourne très rapidement à la froide démonstration narratologique par A + B - ou plutôt B + A en l’occurrence, puisque le concept du film est de prendre toutes les situations typiques d’une enquête policière par le «mauvais» bout de la lorgnette. Le seul bout de vie à se mettre sous la dent viendra du casting (Daniel Craig à part donc), dont le plaisir du jeu est très communicatif.

Alors, il faut rendre à César ce qui est à César: Rian Johnson est incontestablement très doué, puisque le récit est très complexe, mais très limpide, et complètement inattaquable sur sa cohérence. Mais c’est à peu près aussi animé et riche en émotions qu’un mode d’emploi Ikea.

En bref!

Sympathique sur le papier, À Couteaux Tirés est suffoqué et broyé par une mise en scène aussi délicate avec son histoire qu’un boa constrictor culturiste. Seul surnage le charme du casting, excepté l’énigme Daniel Craig.

26.11.2019

2.5

Votre note

Commentaires

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement

Casper73

il y a 4 ans

Mon toit, mes lois
Trop fort de café. Un suicide par arme blanche ? Un meurtre obscur ? Le jeu de go est lancé. Chacun essaie de tirer une couverture à soi. Les héritiers délaissent vite les larmes pour flinguer les liens du sang. Des rôles bien distribués qui enchaînent les reparties piquantes et tranchées. Une arabesque finale bottera en touche les présomptions. La mort salvatrice pour, telle une lame de fond, révéler les coups de canif au contrat. Pour un soir de pluie, avec une tasse chez soi.Voir plus


Eric2017

il y a 4 ans

Je suis retourné voir ce film en VO. Je confirme que c'est un vrai délice et les voix originales amènent toujours un plus. Lors de cette deuxième vision, j'ai constaté qu'il y avait même une touche Hitchcockienne. Scotché jusqu'à la dernière image c'est un film à aller voir. (F-16.12.19)


vincenzobino

il y a 4 ans

4.5: La Souricière
Marta est l’infirmière de Harlan, le patriarche de la famille Thrombey vivant dans un manoir. Un soir où toute la famille est réunie, Harlan est retrouvé mort la gorge tranchée. Ce qui semble s’apparenter à un suicide ne l’est pas forcément pour Benoit Blanc, le détective chargé par une source anonyme de seconder la police et mener l’enquête.
Le voici donc ce huis-clos rappelant Agatha Christie. Quelque peu sceptique au premier abord, les premières critiques unanimes me poussèrent à tenter l’expérience. Je les remercie.
La première séquence donne tout de suite le ton: une atmosphère digne de Poirot mélangée à Downton Abbey. Et tout du long, ce style ne nous quittera pas.
Autant après 45 minutes, l’on pense connaître la vérité, autant la force du montage et de l’écriture exquis nous promènent, semblant nous abaisser au niveau de cette famille, puis nous captivent par un élément contradictoire pour finalement nous bluffer sur l’issue et l’erreur commise par la personne coupable dont l’interprète s’avère brillantissime. Les deux heures 10 de film passent à toute vitesse et mon titre, n’ayant aucun rapport avec la pièce éponyme, illustre à merveille cette faille.
A recommander vivement...Voir plus


Autres critiques de films

Gladiator II

Red One

Venom: The Last Dance

Le Robot Sauvage