Le regard de Charles France 2019 – 83min.

Critique du film

Je filme donc j’existe

Camille Vignes
Critique du film: Camille Vignes

1948, le succès n’est pas encore là, la première caméra si, et c’est des mains d’Edith Piaf que Charles Aznavour la reçoit. Soixante-dix ans après, ou presque, il fait découvrir à Marc Di Domenico son trésor: des centaines de bobines conservées et rangées. Des images de vie, de familles, d’amis… capturées à l’instinct par Aznavour.

Les voyages, les amours, les heures sombres et la quête d’identité se succèdent, s’innervent les uns les autres et tissent progressivement le récit de la vie de l’artiste. Aznavour ne fait pas que chanter, il sait filmer, maîtrise le cadrage et avec ce savoir faire, apporte des preuves de sa créativité. Et s’il filme d’abord pour filmer, avouant dès les premières minutes du long-métrage ne pas savoir comment utiliser tous ces bouts d’images, il filme aussi pour se prouver à lui-même son succès, son existence. Il filme les autres autant qu’il se met en scène en confiant sa caméra à une tierce personne. Il filme des fragments de quotidien, les rues de Montmartre, les gens qui, comme ses ancêtres, ont connu la misère ou l’exil, ou les deux.

Lourde tâche que celle de se voir confier quarante ans d’images et d’en extirper l’essence de celui qui les a capturées. De 1948 à 1982, Charles Aznavour a capturé ses voyages, ses tournées, ses tournages, ses amours, ses amis... bref, sans pudeur ni retenue, c’est tout son quotidien qu’il a balayé de la petite caméra offerte par Edith Piaf. Ces images, il les a données à Marc Di Domenico peu avant sa mort, laissant son ami seul juge de nombreuses interrogations: Que faire de ces bobines? Comment trouver leur narration? Que garder? Qu’évincer? Le résultat est une sorte d’auto-fiction qui emprunte à l'autoportrait autant qu’au biopic musical, sans jamais être ni l’un ni l’autre.

S’il y a des manques, si Le Regard de Charles ne déroule (et ne peut dérouler) qu’une partie de la vie de l’artiste, son essence est ailleurs. Elle est dans la façon dont le réalisateur réussit à raconter l’homme et l’artiste Aznavour, à raconter ses certitudes et ses doutes et les aspects rugueux de sa vie (sa relation avec sa première femme, le décès de son fils, ses écarts de conduite). Se dessine dans ces fragments d’existence un homme et sa volonté indéfectible d’être connu. Le tourbillon d’une vie qu’Aznavour se devait de filmer pour s’assurer qu’il était bien réel, que ce n’était pas un rêve éveillé. Au rythme de ses chansons et des écrits de l’artiste (récités et incarnés brillamment par Romain Duris), le réalisateur montre à la fois le bouillonnement de la réussite et le bonheur familial de l’artiste. Il dévoile la tendresse méconnue d’une personne longtemps rejetée.

En bref!

Le talent d’Aznavour se mêle au regard bienveillant que Di Domenico a posé sur l’artiste et sur son œuvre, qu’elle soit chantée ou filmée. Le travail sur le son est particulièrement soigné (alors que certaines pistes remontent aux années 50), le résultat final est impeccable. Rien ne dépasse, rien n’est en trop. On pourrait simplement penser qu’il n’y en a pas assez.

16.03.2024

4

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