Beau Is Afraid Canada, Finlande, Royaume-Uni, Etats-Unis 2023 – 179min.
Critique du film
Un voyage délirant et intense
Quatre ans après la sortie de Midsommar, Ari Aster soigne son retour avec un film absolument vertigineux. Mais vertigineux est ici à entendre au sens littéral : en élevant son ambition à une telle hauteur, le cinéaste prend aussi bien le risque d’étourdir son public qu’il ne lui ouvre l’accès vers une élévation prodigieuse.
Beau est un homme instable qui habite un appartement miteux, situé au centre-ville d’un quartier gangrené par le consumérisme et les addictions. Pour retrouver un semblant d’équilibre, il organise un voyage pour aller rejoindre une mère qu’il n’a plus vue depuis longtemps. Débute alors une odyssée parfois difficile, parfois horrifique, mais toujours hallucinée.
Ce qu’il convient de dire d’emblée, c’est qu’avec Beau is Afraid Ari Aster poursuit ses réflexions sur la configuration de l’espace, telles qu’elles se sont amorcées dans ses précédents films. Comme à son habitude, le jeune réalisateur délimite rigoureusement une portion d’espace qui constituera son terrain de jeu.
Dans Hérédité, ce travail topographique portait l’autopsie à son point culminant : les maisons s’imbriquaient les unes dans les autres pour mieux sonder l’enracinement des névroses familiales. Dans Midsommar, la rencontre avec la communauté suédoise ménageait la possibilité de l’ethnographie dans une démarche où les corps s’effritaient aussi bien que les lieux. Dans Beau is afraid, enfin, Aster renouvelle cette esthétique de l’emboîtement en déconnectant les lieux qu’il juxtapose par un usage clinique du fondu au noir (exemple : Beau court pour s’échapper d’une banlieue cossue et pénètre dans les bois. Cut. Ecran noir. Il se réveille au milieu d’une étrange forêt).
Cette déstructuration profonde de l’espace trouve une parfaite justification narrative : si Beau parcourt une diversité d’espaces déconnectés les uns des autres, il n’en traverse en réalité qu’un seul, sa conscience d’homme psychotique. Ainsi, l’odyssée à laquelle il se prête n’est que l’illustration de sa fragile capacité de symbolisation. À cet égard, il importe de souligner la majestueuse performance de Joaquin Phoenix, prouvant, avec ce rôle de psychotique, son aisance dans plusieurs registres de jeu différents.
Aussi, le délire psychotique de Beau s’actualise par le chaos qui règne dans le cadre : profusion des éléments qui s’agencent dans des complexes contradictoires, à l’image de l’ouverture du film où la mise au monde d’un enfant apparaît plutôt comme sa mise à mort. Le blanc immaculé de la scène sert alors de surface à partir de laquelle émerge le noir de l’enfer : l’enfant tombe des bras de l’infirmier au milieu des cris qui fendent l’air, moment idoine pour couper. Or, la coupe, loin de nous délivrer de l’insupportable, nous décrit ce que sera film : une chute sans possibilité de salut.
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Commentaires
Joaquim Phoenix riche de son Oscar pour JOKER, nous revient dans le rôle de Beau. Beau, a peur...peur de tout. Totalement névrosé, Phoenix y est excellent, dans ce film qui décrit une telle personne malade. On a tendance à se perdre car si l'on doit comme moi suivre les sous-titres on passe d'une séquence à l'autre en quelques fractions de secondes avec toutes les émotions que ça comportent peur-tristesse-humour. Bien qu'en ressortant "bousculé" de la salle après 3h00, je me suis dit que probablement il faudrait voir ce film une deuxième fois pour en capter toutes les subtilités.
(G-09.05.23)… Voir plus
“L’enfant perdu”
Beau semble particulièrement angoissé aujourd’hui. Il doit se rendre le lendemain chez sa mère qu’il n’a pas vue depuis des mois. Se sent-il coupable, lui demande son thérapeute ? Une nuit infernale et le vol de ses clés seront les premières embûches de ce très long périple freudien.
Beau est une Alice égarée au pays des horreurs. Sa ville est devenue une cour des miracles où seul le pire de l’humanité a survécu. Les cadavres jonchent les trottoirs insalubres, les assassins sont les rois nus du bitume et l’on encourage joyeusement les désespérés à sauter. Dans cette jungle à ciel ouvert, la police est terrifiée. Quant au havre paisible de cette famille d’adoption, il ressemble davantage à une clinique psychiatrique dont les murs bleus exhalent la mort. Le Beau au bois dormant chute dans un puits œdipien sans fond, comme tombent les chandeliers sur les cranes ou les araignée et énergumènes des plafonds de salle de bains.
Devant une telle odyssée névrotique, on ne sait plus s’il convient de frémir, rire ou partir. Imprévisible, le voyage hallucinogène mêle grotesque, étonnement, ennui. Joaquin Phoenix en pyjama y apparaît aussi perturbé que dans le costume du Joker. Son délire paranoïaque rappelle celui de Charlie Kaufman qui poussait un Je veux juste en finir plus fort que ce cri qui débute par un accouchement douloureux. On pense également à l’extravagance oscarisée des Daniels illustrant à coups de verge XXL une émancipation matricielle. Ari Aster préfère dépuceler son personnage dans le lit parental sur Always be my baby de Mariah Carey, avant de le condamner à se noyer avec le spectateur. A l’issue de ce labyrinthe intérieur, il est conseillé au réalisateur, s’il est encore temps, de parler à sa maman.
(5.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 1 an
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