Smoke Sauna Sisterhood Estonie, France, Islande 2023 – 89min.
Critique du film
Féminité, chaleur et intimité
Au cœur du premier long-métrage documentaire d’Anna Hints, des prises de parole de femmes, récoltées dans un lieu singulier. Une œuvre unique à plusieurs égards, mais notamment, car aucun homme n’apparaît jamais à l’écran.
Une petite maison perdue en pleine brousse estonienne, dans une de ses salles, un sauna. Au fil des saisons, des femmes s’y rejoignent. Elles profitent de la nature et de la chaleur étouffante du sauna. Dans leur plus simple appareil, elles s’y racontent leurs histoires les plus intimes : de la violence que les femmes s’infligent entre elles, de pouvoir envisager son corps sans considérer le regard masculin, de subir une agression sexuelle, et de bien d’autres éléments constitutifs de l’être au monde féminin contemporain.
Un résumé simple pour un film à la structure simple. Il alterne entre des séquences d’ambiance dans la nature, majoritairement muettes, où les corps déambulent dans l’espace, et d’autres plus introspectives, dans le sauna : une personne raconte son expérience, entourée d’oreilles attentives, qui parfois interagissent. Ce dispositif épuré est, en tout cas dans un premier temps, tout à fait convaincant.
Ce notamment grâce à la qualité des prises de parole sélectionnées : drôles, touchantes et éclairantes. Et, bien que ces interventions soient éminemment intimes et racontées dans la nudité la plus totale, le film sait nous préserver de l’impression gênante d’être en train de pénétrer dans un espace trop personnel, dans lequel nous ne devrions pas être. Sûrement car il fait le choix de ne pas dévoiler la majorité des visages des intervenantes, tout comme il ne nous révèle pas leurs noms, prénoms, métiers, etc. Anna Hints trouve un équilibre fin, contrebalance cette grande intimité par une pudeur nécessaire.
Éléments rares dans le genre documentaire, les moments d’expérimentation esthétique et autres envolées abstraites sont ici monnaie courante. C’est principalement durant les scènes en extérieur que l’on y assiste : caractérisés par leur maîtrise et leur liberté esthétique, ils donnent au métrage une atmosphère unique, un rythme planant, embrumé d’une fumée humide et mystique. Dits dans cette ambiance – dans laquelle le travail sonore, sur le bruit de l’eau notamment, est crucial – les propos récoltés gagnent en ampleur, sont d’autant plus vibrants, vivants : cette esthétique sensorielle leur donne corps.
Mais cette structure répétitive peine, à la longue, à attirer encore notre attention, ne nous donnant que trop peu de sentiment d’évolution. L’on a beau y voir les saisons passer, changer alors que le film se déploie, la prédictibilité de son programme finit par ternir ce monde intime, mystique et sensoriel, si bien fabriqué, d’une indésirable impression d’inertie.
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