Toxic Lituanie 2024 – 99min.

Critique du film

L’instrumentalisation du corps dans tous ses états

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Lauréate du Léopard d’or au festival de Locarno, la cinéaste lituanienne Saulė Bliuvaitė a frappé très (très) fort. À 30 ans et pour son premier long-métrage, elle signe le bestiaire d’une adolescence post-soviétique qui s’imagine mannequins à New York. Des jeunes filles y maltraitent leurs corps pour un rêve ô combien précaire. Une claque!

Dans l’espoir de pouvoir un jour sortir de leur médiocre patelin, Marija et Kristina, deux jeunes filles de 13 ans, se rencontrent au sein de l’école locale de mannequinat. Une fois passé quelques accros, elles deviennent amies et s’entraident dans cet environnement hostile et compétitif. Aussi, dans l’espoir de quitter le décor en friche de cette centrale électrique qui les encercle et les surplombe, rien ne parait plus nécessaire que d’accepter les règles du jeu pour s’en sortir. Une démarche qui laissera des séquelles.

En conversation avec le festival de Locarno, la réalisatrice a déclaré vouloir «capter le phénomène du passage à l’âge adulte». «Akiplėša» («Toxic») révèle en effet la fragile malléabilité des êtres qui, à l’adolescence, se courbent tels des roseaux au gré du vent. Métaphore de l’apprentissage, de la violence, le corps de ces jeunes filles est le seul passeport pour s'enfuir. Elles acceptent alors le dictat du regard, des désirs, et en embrassent les codes jusqu’à l’épuisement. Pas sûr non plus que la compagnie masculine soit particulièrement salvatrice. Alors, puisqu’il faut plonger…

L’une d’elle est boiteuse et devient paria. Une autre aurait plus de chance et ne cesse de se faire vomir. Adolescence régie par la dictature du tour de taille, les premiers talons aiguilles claquent le pavé, les piercings apparaissent, un ver solitaire est commandé sur le dark web et elles se suspendent dans l’espoir de s’étirer le corps. Pour conter leur récit, Saulė Bliuvaitė use d’une ingénieuse mise en scène et invoque, tour à tour, la poésie du cadre, la dance, les grands angles et autres plans débullés (en anglais Dutch Tilt).

Attendu comme un Godo chez Becket, un photographe arrivera un jour, et le tableau de cette marginalité se glace d’une infinie sagesse envers les protagonistes. Et dans l’antre de la centrale électrique et ses câbles tentaculaires, la fable de ces jeunes filles au seuil de la mutilation pour accéder à la lumière nous a laissé sans voix. On applaudit encore !

(Locarno 2024)

21.08.2024

5

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