Leto France, Russie, fédération de 2018 – 129min.
Critique du film
Our band could be your life
Les amours, les difficultés, les joies, la mélancolie, les fêtes, les malheurs et les rêves des membres de la scène musicale underground dans une URSS hostile aux musiques punk / rock, le temps d’un été au début des années 80.
Plus que les histoires de Mike, Viktor et Natasha, plus que les difficultés et les moments de joie traversés par la scène underground soviétique, Leto nous raconte l’intense pulsion de vie qui en anime les membres, dans un contexte hostile aux musiques rock et (post) punk, à ce qu’elles représentent et à ceux qui les apprécient. Kirill Serebrennikov fait ainsi le choix extrêmement judicieux de raconter un sujet à consonance politique par la petite fenêtre de l’intime des personnages, ou plutôt d’une communauté, au lieu de matraquer un message. Une finesse d’écriture qui participe au charme de Leto, mais qui ne l’explique pas tout à fait.
Ce traitement est en effet complètement transcendé par le travail photographique, qui fait de Leto un film prodigieux et non pas « juste » une belle oeuvre. Avec son image flottante, son noir et blanc somptueux et ses plans longs, Leto laisse toute l’amplitude nécessaire aux personnages pour se déployer naturellement dans le cadre, tout en nous baladant comme dans une bulle, d’un personnage à l’autre, comme on passerait d’une discussion à une autre en soirée, comme on s’enquerrait d’un ami après l’autre. C’est à ce degré de connivence entre le spectateur et les personnages que Leto parvient à emmener son public et à ce degré d’incarnation que Leto emmène les acteurs. On retient particulièrement la longue séquence à la plage, un pur moment d’éternité suspendue.
Kirill Serebrennikov parvient en somme à recréer pour son public un mélange de mélancolie ouatée et de joie foudroyante. Un mélange qui compose les souvenirs à la fois heureux et difficiles des épreuves traversées, une contradiction exprimée aussi drôlement que justement par les actions du Sceptique. Personnage clé du film, ange gardien démiurge et blasé, il fait régulièrement dérailler le récit, transformant les épreuves négatives en de jubilatoires moments de comédie musicale (surtout la scène du métro avec Psycho Killer de Talking Heads, jouissive). Un beau symbole : la croyance de tous ceux qui composent Leto (à l’intérieur comme à l’extérieur de sa diégèse) en la musique est si forte qu’elle en est devenue un personnage méta bienveillant à part entière. La plus belle déclaration d’amour qui soit ?
En bref
À genoux, main sur le coeur : Leto est l’un des tous meilleurs films de 2018.
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Commentaires
« Russie, amour et rock’n’roll »
Dans le Léningrad des années 80, Mike Naumemko, leader du groupe Zoopark, rencontre Viktor Tsoï. Le charisme de ce chanteur, véritable star en devenir, attise le public et Natasha, conjointe de Mike.
Il se dégage une légèreté inattendue de ce rock underground, à la fois désabusé et subtilement revendicateur. Un été en pente douce sur les bords de la Neva dans un noir et blanc spontanément associé à l’hiver. Si bien que quand Natasha confesse vouloir embrasser Viktor, Mike, lucide et sans colère, lui accorderait presque sa permission.
Buvant les paroles des Bowie, Dylan, Reed, T-Rex et Sex Pistols, cette jeunesse assoiffée de rêve et de liberté aurait pourtant de quoi trembler. L’œil de Moscou les surveille de près et phagocyte, lors des concerts non clandestins, tout élan de liesse. Une menace artistique considérée aujourd’hui encore, puisque le réalisateur, opposant à la politique de Poutine, a été arrêté avant la fin du tournage et assigné depuis à résidence.
Malgré l’oppression, il faut que ça danse. En train ou en bus, on chante comme dans un clip, entraînant dans l’euphorie musicale les passagers réfractaires. Hélas, comme le rappelle au spectateur un ange messager, « tout ça ne s’est pas exactement passé ainsi ».
7/10
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Et si c’était vrai ?
URSS, les années 1980: Mike, Victor, Boris sont parmi les quelques rockeurs de style punk subsistant dans le régime communiste d’alors. Leur message révolutionnaire pourrait nuire au pouvoir en place s’il s’expatriait, d’autant plus avec l’invasion afghane. Lorsque Natacha pénètre cet univers en épousant Mike et éprouve des sentiments pour Victor, cette relation semble fragilisée mais la musique pourrait y survivre.
Bienvenus dans l’URSS des années 1980 avec sa réprobation à toute sorte d’opposition ou de message à consonance occidentale et donc censuré. Ces jeunes conscients de braver le danger que représente leur liberté d’expression survivront-ils sur un plan musical à ce diktat?
L’on pouvait, au vu du sujet, s’attendre à un message de propagande, connaissant les accusations dont il est sujet et son assignation à résidence. Las, et c’est peut-être ce qui ferait légèrement tache vue l’absence de séquences politiques choc.
Mais en revanche, la part fictive est assez jubilatoire : un personnage fil rouge constitue une part évidente d’irréalité et les séquences dans des transports en commun, surréalistes, nous emballent littéralement. La « couleur » est également un symbole fort: le film tourné en noir et blanc comme pour illustrer cette atteinte à la liberté d’expression comporte trois séquences coloriées de toute beauté, dont une symbole de liberté.
Mais cette dernière n’est que fictive et l’ultime date soumise à la fin fait quelque peu froid dans le dos, illustrant qu’on ne peut défier un pouvoir sans prendre de risques.
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