Volunteer Suisse 2019 – 93min.
Critique du film
Frappe encore, le marteau chante
Capitaine d’armée, couple d’éleveurs, retraitée, artiste de renom : tous mènent une vie radicalement différente les unes des autres ; tous ont également en commun de s’être portés volontaires pour venir en aide à ceux dans le besoin entassés aux portes de l’Europe. À travers leurs histoires, Volunteer de Anna Thommen et Lorenz Nufer dresse un saisissant portrait d’humanité autant qu’un accablant constat d’échec politique.
Ce n’est, hélas, pas une information qui date d’hier, au contraire, c’est un fait qui dure et semble parti pour demeurer longtemps : l’Europe vit une crise migratoire et doit faire face à un afflux de réfugiés aux portes de ses frontières, à laquelle l’Union semble toujours bien incapable d’opposer une réponse politique forte. Devant l’inaction des états, ce sont de simples volontaires qui prennent en charge les nombreuses vies humaines en danger sur place, quitte à y perdre au passage une partie d’eux-mêmes. Et ne vous leurrez pas : il y a beaucoup à perdre.
Car, sous le voile pudique des media traditionnels, derrière l’écran de fumée technocratique institutionnel et surtout au bout des centaines de kilomètres qui séparent le public visé par Volunteer du «décor» du film, se joue une tragédie ob-scène, que Volunteer entend remettre sur scène. Comment rendre compte de la quantité réelle de misère et peine accumulées sur le seuil géographique de l’Europe, alors que sa mesure physique dépasse l’entendement, déborde littéralement du cadre ? Par un miracle presque évident de simplicité, Volunteer y parvient, car il s’arme d’un outil de mesure bien plus redoutable qu’une règle, un compas, un nombre ou une statistique, un outil qui combine oeil et coeur : une caméra.
Pour reprendre la formule consacrée, les lois de la perspective cinématographique sont telles qu’un cafard filmé en gros plan paraît sur l’écran cent fois plus redoutable qu’une centaine d’éléphants pris en plan d’ensemble. Volunteer apparaît instantanément comme un film-gros plan, plus redoutable que n’importe quel éditorial journalistique pour le spectateur européen qui aura bien du mal à rester indifférent face à l’expérience empathique proposée par le film et au sentiment de révolte indignée qui transpire de chaque seconde du métrage, face à un zodiac à Lesbos ou sous la tente d’un chapiteau en Suisse, nourrie par la vérité suprême que révèle Volunteer : les lois de la perspective humaine sont telles que, face aux frontières, l’oeil ne fera pas le point sur les barbelés, mais sur la beauté de la terre qui s’étend au delà. Les barrières que ni le sol ni le soleil ne reconnaissent sont en réalité les barrières de l’esprit, et si les premières se détruisent à coups de marteau, les secondes s’effondrent à coups d’oeuvres-marteau comme Volunteer.
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