Something You Said Last Night Canada, Suisse 2022 – 96min.
Critique du film
Vacances sous contrainte
Le nouveau film de Luis De Filippis, rare co-production entre le Canada et la Suisse, suit une femme transgenre sans que cela soit ni son thème, ni son sujet principal. Une œuvre rafraichissante.
Ayant récemment été virée de son emploi, Ren (Carmen Madonia), écrivaine en devenir, part en vacances avec ses deux parents (Ramona Milano, Joe Parro) et sa sœur (Paige Evans). Dans la station balnéaire qui les accueille, plage, pédalo et jeux de société – tout en ayant toujours la tête à moitié plongée dans son smartphone – seront les principales occupations. Ponctuant le bon temps, plusieurs tensions liées aux pressions sociales qu’exercent le travail et l’étiquette familiale sur les individus, mettront au défi les liens forts qui unissent cette famille.
Ren est un personnage particulièrement silencieux. Un comportement qui peut être expliqué par une forme de contrainte que sa situation professionnelle et son identité de genre exercent sur elle. Au chômage, les interactions et la rencontre avec autrui sont, pour elle, plus complexes : la honte sociale liée à cette situation la rend muette. Transgenre, elle ne peut que difficilement partager sur son expérience de vie dans des termes génériques, normés. En d’autres termes, les plusieurs formes de distance qu’elle entretient avec la condition « normale » d’un individu en société participent à son incapacité à communiquer. Ren vit alors constamment à côté des conversations des autres, y prenant rarement part.
Ce quotidien est également caractérisé par une absence d’ancrage, par tout l’inconfort que cela suppose : une instabilité que les contextes spatio-temporels du film symbolisent avec brio. Commençant sur une aire d’autoroute, puis sur la route (lieux entre les lieux) le métrage se poursuit dans une station balnéaire (zone de passage, fluctuante et changeante par excellence) tout en soulignant systématiquement le temps que nos personnages passent sur leurs téléphones (non-lieu, zone d’absence au réel s’il en est une). Ces différentes situations – entre-deux, zones de passage, non-lieux – démultiplient l’absence d’ancrage de Ren.
C’est par ces différentes caractéristiques, et avec beaucoup d’efficacité, que De Fillippis montre la violence discrète d’un tel quotidien. Mais la réalisatrice sait également pointer ses espaces d’épanouissement : ils se trouvent principalement dans le cadre familial, lieu de parole où l’amour inconditionnel que les membres se portent constitue la forme d’ancrage la plus saine.
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