For Sama Royaume-Uni, Etats-Unis 2019 – 95min.
Critique du film
Naissance parmi les bombes
For Sama nous immerge comme rarement dans Alep. De 2011 à 2016, Waad al-Kateab se faufile entre les bombes, entre les blessés, la misère. Un documentaire foudroyant, dédié à sa fille Sama.
Le régime de Bachar el-Assad en a fait des victimes. La Syrie rebelle est écartelée par la guerre dès 2011, là où les étudiants de «l’Université de la liberté d’Alep», comme la nomme Waad, sont acculés par les bombes. Waad, journaliste, et son mari Hamza, médecin, donnent naissance à Sama. Pourquoi donner la vie alors que le pays est bientôt un no man’s land? Waad y répond à travers des reflets filmés, à travers les bombes et les morts. Derrière sa petite caméra, voire un premier temps derrière son téléphone portable, la jeune femme met en exergue cette brutalité inhumaine.
Ses parents lui disaient qu’elle était têtue, parfois inconsciente. Waad ne comprenait pas pourquoi ses géniteurs la voyaient ainsi. Alors c’est sa progéniture qui s’en est chargée, comme elle le souligne. Sama, qui signifie «ciel» en arabe, lui octroie un moment d’intense bonheur alors que la ville s’écroule sous les impacts d’obus. La guerre fait rage, mais les habitants refusent d’abandonner le navire. Ils se démènent, se serrent les coudes, construisent un hôpital de fortune, celui où Hamza opère et se bat pour garder des centaines de victimes en vie. La vie continue malgré les horreurs. For Sama est avant tout une lettre ouverte de Waad à sa fille, une réponse à l’équation de sa naissance: pourquoi donner la vie alors qu’elle déserte les rues d’Alep? Pourquoi la mettre au monde alors qu’il est impossible à vivre. La naissance face au déclin. Le bonheur face à la brutalité froide de l’Homme. Des milliers de Syriens innocents, victimes collatérales d’un régime.
Vous sentez le souffle de la déflagration, le parfum de la désolation exhaler une brise de souffrance. L’espoir terrassé par les bombes, par la mort. «On n’a pas le temps de faire son deuil», déplore Waad. Alep croule sous les explosions. Les habitants en viennent même à occulter les impacts, le bruit assourdissant d’un obus qui frappe le sol. Tout n’est que poussière et décombres. Les traînées de sang, les blessés, les morts, les enfants passés à trépas, Waad al-Kateab le filme, le capte dans sa forme la plus authentique. Une immersion musclée, renversante, tragique. Des sépulcres blanchis par les bombes. Un pays détruit. «C’est beau d’avoir le mot liberté écrit sur le visage» murmure un infirmier qui assiste Hamza, face à la caméra de Waad. Une phrase symbolique pour un documentaire singulier. En bref!
La force de For Sama réside dans l’angle abordé par Waad al-Kateab. Une lettre ouverte pour sa fille, où espoir et détresse se collisionnent. Une ode au courage, une percée affolante de violence où la vie pousse tant bien que mal tel un arbre de vie. Même derrière le désespoir, une lumière persiste.
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Commentaires
Alep, cœurs à vif
2016: Waad vit à Alep avec son mari Hamza médecin urgentiste et leur fille Sama tout juste née. 5 années que la révolution arabe a éclaté : 5 années de fuite et d’espoir malgré l’omniprésence des bombardements russes. Un avenir est-il possible pour cette petite fille et ses parents?
Le voici donc ce documentaire choc annoncé et censé ouvrir une brèche médiatique sur le quotidien d’Alep et ses habitants. Un choc garanti.
Le montage est quelquefois compliqué sur la rétrospective de 2016 et les raids incessants, mais cette vision apocalyptique tant audible que visuelle nous marque : par cette volonté samaritaine malgré elle qui force le respect; par cette puissante foi en la vie illustrée notamment par des instants festifs paraissant totalement surréalistes sur le moment avant un brutal retour à la réalité des armes.
Ce qui est marquant dans ce documentaire, c’est bien le non-procès occidental et cette incroyable barbarie de cibler les hôpitaux, réels ou bâtis sur mesure; une nation en prend directement pour son grade mais il s’agit clairement du procès de chacun d’entre nous, moi le premier, étrangers à ce conflit. Waad se charge de nous dresser un réquisitoire cinglant avec un verdict architectural brutal et humainement significatif de la méconnaissance. Et l’actualité toute récente, confirmée ou pas, met également en valeur cette divergence : on en oublie que derrière ce combat, il y a des mères journalistes et des anges gardiens et la signification arabe du prénom nous rappelle son éternité.
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