Les Misérables France 2019 – 102min.

Critique du film

Du contrat social (signé au LBD)

Lino Cassinat
Critique du film: Lino Cassinat

Prix du Jury à Cannes à égalité avec Bacurau (aux thèmes cousins), Les Misérables est un premier film qui a fait l’effet d’une bombe lors de sa présentation, et pour cause: aussi brûlant politiquement que profondément cinégénique, Les Misérables de Ladj Ly, encensé par rien de moins que Michael Mann lui-même, est aisément la plus grosse claque française de l’année (avec le film de Céline Sciamma) et un des dix meilleurs films de l’année.

Stéphane est un flic intègre qui rejoint la BAC à Montfermeil, une ville de banlieue difficile en Seine-Saint-Denis. Il découvre avec étonnement le fonctionnement souterrain des relations entre les différents groupes de la ville et la police, qui, sous couvert d’arrangements entre factions pour maintenir un calme civil, ne font qu’engendrer une véritable culture du ressentiment et de la violence symbolique... et qui pourrait devenir physique et faire exploser les tensions sociales si un faux-pas devait être commis par un représentant de l'État. Comme une bavure par exemple.

La référence évidente du titre pouvait faire craindre un lénifiant film d’auteur de plus sur la fameuse banlieue, lieu devenu si commun et tant de fois réduit à un horizon aussi fantasmagorique que lointain dans lequel viendrait se fracasser l’imaginaire de réalisateurs mal motivés. Bien mal inspiré serait celui qui passerait son chemin et n’irait pas voir ce film car il passerait à côté d’un brûlot percutant, direct, fin, élégant, sans chichis ni moraline malgré ses prétentions sociologisantes.

À mi-chemin entre ’71 et Do The Right Thing, Ladj Ly compose une mosaïque abrasive animée par un rythme tragique qui rend fou. Conçu comme un lent crescendo, il est impossible de ne pas se retrouver broyé par la mécanique du film qui s’emballe petit à petit, et de ne pas être terrassé par une séquence finale irrespirable et une ultime image d’une classe monstrueuse. Mais la réussite des Misérables n’est pas que dans sa mise en récit, elle réside aussi dans sa capacité à aligner la mécanique de sa matrice de fiction sur celle qui broie les êtres dans la réalité.

Les Misérables est une des plus brillantes transposition dans l’art filmique de la règle spinoziste qui veut que chaque individu se comporte au sein d’un système comme les contraintes de ce système l’obligent à se comporter. La traduction de cette maxime, c’est que la violence n’existe que parce que les conditions de la violence sont réunies, et Montfermeil est à ce titre une véritable poudrière, où ce sont les plus innocents qui paient les pots cassés par les autres et qui encaissent les mutilations les plus affreuses (en plus d’être intimés de se taire au passage). C’est une des essences du drame: même si tout le monde agit de bonne volonté, l’irréparable se produira si le système est injuste et oppresseur. Et on a beau sentir la marche aussi logique qu’inarrêtable vers le craquage final dès les premières minutes du film, on a beau pressentir le pire, il est si spectaculaire, cinégénique et transperçant qu’on en sort irréparable.

En bref!

Pour son premier film, Ladj Ly signe une leçon brutale de cinéma, de politique, et de cinéma politique.

13.12.2019

5

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Commentaires

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CineFiliK

il y a 4 ans

“Ma cité va craquer”

Stéphane rejoint l’équipe de jour de la police qui patrouille dans la banlieue de Montfermeil. Il y découvre un équilibre fragile qu’un rien pourrait faire basculer.

Drapés de bleu, blanc, rouge, des jeunes débarquent en RER et métro dans la capitale, le sourire aux lèvres. « C’est la première fois que je vois la Tour Eiffel » avoue l’un d’eux. Championne du monde pour la seconde fois, la France laisse éclater sa joie sur les Champs-Elysées. Foule bigarrée aux étendards déployés, la liesse passerait de loin pour une révolte qui s’en va défier l’Arc triomphant au bout de l’avenue. Quand apparaît au-dessus le titre hommage à Victor Hugo : « Les Misérables ».

Ladj Ly nuance son propos en abandonnant dès lors le point de vue des résidents pour épouser celui des flics chargés de maintenir l’ordre dans la cité. Celle-ci se découvre à travers les yeux d’une nouvelle recrue qui entrevoit en même temps que le spectateur les rouages rouillés animant tant bien que mal l’ensemble. Cohabitation houleuse entre les différents clans, arrangements souterrains avec les forces de l’ordre. Le fond de l’air pue la haine et la peur. Il suffirait d’une étincelle pour que tout explose.

Après une mise en place quelque peu discursive, c’est un crescendo oppressant qui s’opère. Dans ce film coup de poing, la caméra en immersion virevolte au plus près des visages tendus, avant de s’envoler dans les airs au moyen d’un drone. Les barres d’immeubles en ruines ressemblent à des murs immenses et infranchissables. Un territoire à quelques dizaines de kilomètres de la Ville Lumière où s’agglutine une population le plus souvent laissée sans moyens ni soutien. Et quand les enfants damnés s’emparent du pouvoir par la violence la plus dense, on se dit qu’il n’y a guère d’espoir.

7/10Voir plus

Dernière modification il y a 4 ans


vincenzobino

il y a 4 ans

2.5: Le lion est mort ce jour
Stephane intègre le BAC (brigade anti-criminalité) de Montfermeil. Il y seconde Gwada et Chris qui par des patrouilles automobiles quotidiennes surveillent ce quartier chaud du 93. Débarqué de Cherbourg, son manque d’expérience sur le terrain se ressent lorsqu’il s’agit de retrouver un jeune lionceau d’un cirque italien pris par des jeunes maghrébins. Il va y découvrir la Cosa Nostra locale.
Le voici ce prix du jury cannois s’inspirant de Hugo et de la Haine. Je m’étais préparé à un électrochoc, je n’ai ressenti aucune décharge.
La perspective du sujet promettait un procès sur cette surveillance accrue et cette criminalité apparente; malheureusement ce procès est inexistant durant sa première demi-heure trop sage et manquant d’un intérêt spécifique, surtout si, comme dans mon cas, votre connaissance sur la question se limite naïvement aux journaux.
Il faut effectivement attendre le vol susnommé pour entrer dans le film. Avec un procès à la fois sur l’abus numérique et l’abus de pouvoir bien entamé mais manquant d’un verdict clair.
Le gros problème du film est son issue laissée indirectement ouverte même si une thèse semble plus que plausible. Et elle résume mon ressenti d’être passé à côté niveau réception.
À vous de voir...Voir plus


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